La pierre et le sel

Un jour, un texte : Alejandra Pizarnik | Origine

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Alejandra Pizarnik

Origine

La lumière est trop grande
pour mon enfance.
Mais qui me donnera la réponse qui n’a jamais servi ?
Un mot qui me protège du vent,
une petite vérité sur laquelle m’asseoir
et à partir de laquelle me vivre,
une phrase uniquement mienne
que je puisse étreindre chaque nuit,
où je puisse me reconnaître,
où je puisse m’exister.

Mais non. Mon enfance
ne comprend que le vent féroce
qui m’a exposée au froid
lorsque des cloches mortes
m’ont annoncée.

Rien qu’une vieille mélodie,
quelque chose avec des enfants d’or, des ailes de peau verte,
de chaud, de sage comme la mer,
qui grelotte depuis mon sang,
qui renouvelle ma lassitude d’autres âges.

Rien que la décision d’être dieu jusque dans les larmes.

In Œuvres, © Ypsilon, 2022

Internet

• Wikipédia | Alejandra Pizarnik

• La pierre et le sel | Alejandra Pizarnik | “dans le lieu du massacre”, une contribution de Roselyne Fritel
  
• Nos pensées | Alejandra Pizarnik, biographie de la dernière écrivaine maudite

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Pierre Soletti | Matilda supporte…

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Pierre Soletti

Tom Waits, © Christophe Chabouté

Matilda supporte
mes peines & mes
exagérations

je l’emmène avec moi
partout où se posent
mes pas

elle danse avec moi
du bout des hanches
la musique vide de
mes os
qui s’entrechoquent

me secoue les solitudes

elle m’offre parfois
un brin d’herbe
du bout des lèvres
que je mâchouille
longtemps comme on mâchouille
un destin mal
fagoté
elle me regarde
engloutir des banquises
de gênes
entre moi & le monde

mes facéties ne suffisent plus
à dissimuler mes chutes
de tension
les glissades de silence
sur un buvard d’espoir
mal embouché
fatum de taches d’encre
imbibées de néant

je m’escalade



je continue
les étoiles
marin des marécages
empêtré
de vent

j’ai tout risqué


l’estomac noué
avec
la lune dans une poêle
pour seule compagne

soufflerie
à tous les
étages
à travers les
carreaux
de la chemise

In clap hands – a tribute to Tom Waits, © Atelier du hanneton, 2020

Internet

• L’atelier du Hanneton

Contribution de PPierre Kobel

Un jour, un texte : Marie Alloy | Tableau de terre (extrait)

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

haies de blé
pour combien de branches retombées
de feuillages reverdis ?

Frondaisons naissantes dont l’étoffe
mêle dans une même lumière
les taches d’ombre et les bourgeons
avec les jeunes oiseaux apprentis
de l’envol et du chant

Dans l’échancrure du jour
qui cherche le silence ?
La paix tendue sur le tambour du regard
nous écoutons piailler et tournoyer
des forces grandissantes
à toutes volées elles s’ébattent
jusqu’au soleil plongé dans l’azur
et la douceur s’égare en nous
se souvenant de nos outrances

Tableau de terre où chaque geste
laboure son petit lopin
de mots de rêves et de pensées
près de l’eau bleue du fleuve
qui s’évade survit
chaque instant plus rapide
et plus ravivé

In Arpa 135, © Arpa, février 2022

Internet

• Wikipédia | Marie Alloy

• Le silence qui roule

• arpa

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Pierre Vinclair | Il y a bien quelque chose…

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Pierre Vinclair

Il y a bien quelque chose
à comprendre
dans le discours des mouettes

Mais ce n’est pas pour nous
les animaux parleurs
et raisonneurs
les vacanciers honteux
de rêver à l’apéritif

Les mouettes chantent pour les mouettes

Et lorsque la pluie tombe
comme de minuscules bombes
explosent mon écriture

Les lettres s’évasent
voilà je suis maintenant seul
à savoir ce que j’ai écrit

Bientôt j’oublierai moi aussi.

In L’Éducation géographique, © Flammarion, 2022

Internet

• Wikipédia | Pierre Vinclair

• Flammarion

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Claire Kalfon | J’ouvre la fenêtre…

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Claire Kalfon

J’ouvre la fenêtre

Rien ne résiste à l’ouverture
toujours le même toit
à l’échine ardoisée
trois cheminées en brique
accolées au ciel
le tout faisant navire
avec le cèdre en proue

Le geste à peine replié
sur cet océan urbain
la lumière est déjà passée
du bleu au gris
du rose au mauve

Reste le silence plaqué
aux tempes de la ville
cette cartographie
qui me sert de vêtement

In Dans le froissé d’une forêt, © Unicité, 2022

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• Unicité

• Le Capital des mots

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Jean-Pierre Duprey | Je suis le marchand de soleil

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Jean-Pierre Duprey

Je suis le marchand de soleil

– Je suis le marchand de soleil.
– Monsieur, donnez-moi du soleil,
Ma peau est terne comme une abeille.
– Je suis le marchand de Paradis
Et je vends aussi la nuit.
– Ô donnez-moi le Paradis,
Monsieur, un peu de Paradis,
Ma tête est sèche comme le pain bis
Et j’ai le nom même de la vie.
– Monsieur, je vends les quatre vents,
Où l’on enferme la lumière ;
J’ai dans ma bouche l’eau de mer
Qui rend les larmes plus amères
Et quand je passe, le soleil
S’arrête au milieu de la pluie.
– Je suis marchand de parapluies.

In Derrière son double, © Poésie/Gallimard, 1990

Internet

• Wikipédia | Jean-Pierre Duprey

• Gallimard

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Karima Chabrang | De tout ce qui se tait…

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Karima Chabrang

De tout ce qui se tait, de tout ce qui s’éteint, j’ai peur
Du silence nocturne des ruelles sombres
Lorsque je comprends
Que demain fera naître de nouvelles terreurs
Et des humains à deux têtes
Et aux bras si longs
Qu’ils peuvent atteindre le tréfonds de chaque vie
Atteindre jusqu’aux ruines de mes croyances
Du silence du nouveau-né dans son berceau, j’ai peur
Lorsque chaque matin en ouvrant les yeux
À la place de son père, il voit un fusil accroché au mur qui lui dit bonjour
À l’idée que quelques années plus tard
Il apprendra les additions et les multiplications dans la langue des balles
Et la soustraction en voyant la place vide de ses camarades de classe
Devenus cadavres dans la nuit
Des longues barbes hypnotiques des hommes, j’ai peur
Lorsque je comprends
Qu’elles trament les cordes des pendaisons collectives
De tout ce qui se tait, de tout ce qui s’éteint, j’ai peur
Du silence de Dieu aussi
Dieu, absolument inaccessible aux petites mains suppliantes des orphelins.

In Le cri des femmes afghanes, © Bruno Doucey, 2022

Internet

• Éditions Bruno Doucey | Le cri des femmes afghanes

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Pierre Soletti | j’ai coincé pour toi...

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Pierre Soletti

j’ai coincé pour toi
un bout de pluie
dans le vent

un bout de nuage

quand il passera
à ta portée
tu l’entendras
chanter pour toi
une mélodie
pleine de jour

où le temps perdu se pendra
aux horodateurs en service
en recomptant sa monnaie

j’ai coincé pour toi
un bout de vent
dans la pluie

un morceau de brume

à remonter le temps
avec trois bouts de ficelle
et deux morceaux de scotch
un tunnel de carton
et deux lampes de poche

j’ai coincé pour toi
un bout de temps
dans le vent

un bout de temps
rien qu’à nous
un bout de bon temps

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

et le mauvais temps
n’en saura rien...

In Poèmes pour affronter le beau temps, © Le port a jauni, 2017

Internet

• Le site de Pierre Soletti

• Le port a jauni

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Claire Cursoux | trente et un octobre deux-mille vingt

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Claire Cursoux

trente et un octobre deux mille vingt
jour du sabbat de samhain
mon masque provient du bas-latin mascha, sorcière
je porte un faux visage destiné à faire peur
mon masque musèle le vivant et la mort
je porte mon masque pour dire bonjour
pour sourire
pour fumer
pour faire joli
pour cacher ma bouche
et mettre en sourdine tous les mots qu’elle contient
j’ai la bouche pleine de baisers
étouffés dans du coton blanc
mon masque confine mon visage
mon masque bâillonne ma voix
je respire une frontière
je me meurs
comme une sorcière recroquevillée
au fond d’un lit froid
mais je cherche la femme nue
sous ses masques drapés d’étoiles

In Une mémoire de lait, © Polder 193 et l’auteur, 2022

Internet

• Décharge | Voix nouvelle :Claire Cursoux

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Gilles Cheval | Ils vont venir et m’emporter…

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Gilles Cheval

Ils vont venir et m’emporter. Saisir ma peau de leurs longues mains salines cintrées de gants blancs. Et déjà, leur contact me fait froid dans le clos.

Précautionneusement, ils vont faire l’état des lieux. Constater l’ampleur du désastre, les cendres démises et l’oxygène raréfié. Les parcelles d’ombres sur les sièges, le rebord du balcon, les rideaux empoisonnés et la lumière qui palpite. Ensuite sans doute, ils vont songer à m’emporter. Murmurer à la craie blanche ma silhouette sur le sol. L’inclinaison de ma tête, la raideur de mes bras… à l’intérieur d’un grand cahier alors que l’on me fouille et me dépèce cliniquement, à la manière d’un exercice scolaire.

In Vous êtes ici, © Mazette, 2011

Internet

• Babelio | Gilles Cheval

• Éditions Mazette

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Anna Pueyo | Jeanne

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Anna Pueyo

Jeanne

Tu pétris comme tu danses
Jeanne

Sur la scène,
Dans une nuée blanche
Tu te déploies et incarne
Sans un mot

Tu pétris l’existence
Jeanne

Tu caresses la vie
Comme une bulle
Prête à éclater,
Alliée à la matière

Tu pétris comme tu danses
Jeanne

Son et toucher t’emportent
D’une vague tu enveloppes
La pâte à lever,
Ce corps que tu modèles

Tu pétris et j’écris,
Jeanne

Toute ta poésie
À panifier

In Paillettes, © autoédité, 2021

Internet

• Le Dauphiné | Anna Pueyo sort son recueil de poèmes “Paillettes”

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Jean-Louis Giovannoni | Nuit du 25-26 mars

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Jean-Louis Giovannoni

Nuit du 25-26 mars

Pourquoi marcher à petits pas… aucun gouffre ne s’ouvre devant moi. Ce qui va te ronger est plus subtil. Tu ne sentiras rien lorsqu’ils se glisseront sous tes vêtements…

____

Respire ! Respire ! Et ne demande plus au vent de rester en dehors de tes poumons !…

____

Je serai ton éternuement, ta salive déglutie ! Que le désir est grand et l’acte rapide. Déjà à demeure. Ensuite, rien de fantastique : survie, accroissement et multiplication, avant de céder sa place aux nouvelles générations.

____

Vu le nombre d’enfants possibles :: ils ne feront qu’une bouchée de nous !

____

La grille de notre immeuble rouille par endroits. Usure discrète, lente, quasi invisible. Chacun va sa vitesse… Surtout ne pas céder en même temps.

In Décharge 193, © Mars 2022

Internet

• Wikipédia | Jean-Louis Giovannoni

• terre à ciel

• La Croix

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Hortense Flexner | Abondance

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Hortense Flexner

Abondance

Les choses que j’ai gâchées, jetées et perdues,
Parce que j’en possédais en abondance, et m’éjouais parmi elles,
Sont très proches en ce moment où je recense les sommes dépensées.
J’aime leur marque sur le côté débit du registre gris.
Il y eut la beauté que je n’ai pas voulu voir,
Étant ce jour-là ensommeillé, engourdi, ou occupé à lire,
Et les années pareilles à du bruit mûr pourrissant sous l’arbre,
Et des clairs de lune pendant lesquels j’ai dormi, et des amis que j’ai délaissés.
Qu’importe s’il me reste encore assez de feu
Pour me réchauffer jusqu’à ma mort (ou presque) ?
La vie est flamme, flamme aussi haute qu’une tour qui brûle.
Elle ne consiste pas en quelques braises près desquelles on s’accroupit, tremblant et nu,
Ni en bouts de chandelles à demi consumées. Elle est l’été à son commencement,
Sans tic-tac d’horloge ni soleil couchant.

In Présentation critique d’Hortense Flexner suivi d’un choix de Poèmes, © Gallimard, 1969 – traduction de Marguerite Yourcenar

Internet

• Wikipédia | Hortense Flexner

• Gallimard

• Marguerite Yourcenar et la poésie d’Hortense Flexner

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Jules Supervielle | Dans l’oubli de mon corps

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Jules Supervielle

Dans l’oubli de mon corps

Dans l’oubli de mon corps
Et de tout ce qu’il touche
Je me souviens de vous,
Dans l’effort d’un palmier
Près de mers étrangères
Malgré tant de distances
Voici que je découvre
Tout ce qui faisait vous.
Et puis je vous oublie
Le plus fort que je peux
Je vous montre comment
Faire en moi pour mourir.
Et je ferme les yeux
Pour vous voir revenir
Du plus loin de moi-même
Où vous avez failli
Solitaire, périr.

In La Fable du monde, 1938

Internet

• Wikipédia | Jules Supervielle

• La Pierre et le Sel | Jules Supervielle, un poète entre deux mondes, une contribution de Jean Gédéon

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Anne Sexton | Pour John qui me prie de ne pas chercher à en savoir davantage

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Anne Sexton

Pour John qui me prie de ne pas chercher à en savoir davantage

Ce n’était pas que ce fût beau,
mais à la fin il y avait là
une certaine forme d’ordre ;
une chose valant la peine d’être apprise
dans cet étroit journal intime de mon esprit,
dans la banalité de l’asile
où le miroir fêlé,
ou était-ce ma propre mort égoïste,
me fixait.
Si j’essayais
de te livrer autre chose,
une chose m’étant externe,
tu ne saisirais pas
que le pire de chacun
peut être, finalement,
un accident d’espoir.
J’ai tâté ma propre tête ;
c’était du verre, un bol renversé.
C’est mesquin
d’enrager dans son propre bol.
Au début c’était privé.
Puis cela m’a dépassé ;
c’était toi, ou ta maison,
ou ta cuisine.
Et si tu te détournes
car il n’y a rien à apprendre ici,
je prendrai mon bol gênant,
avec ses étoiles fissurées qui brillent
comme un mensonge compliqué,
et j’y attacherai une nouvelle peau
comme si j’habillais une orange
ou un soleil étrange.
Ce n’était pas que ce fût beau,
mais j’y ai trouvé de l’ordre.
Il doit y avoir quelque chose de spécial
pour quelqu’un
dans ce genre d’espoir.
Quelque chose que je n’aurais jamais trouvé
dans ce lieu plus plaisant, mon cher,
bien que ta peur soit partagé par tous,
comme un voile invisible tendu entre nous…
et parfois en privé,
ma cuisine, ta cuisine,
mon visage, ton visage.

In Tu vis ou tu meurs, © des femmes, 2022 – Traduction de Sabine Huynh

Internet

• Wikipédia | Anne Sexton

• terre à ciel | Linda Gray Sexton, écrivain et fille de la poète Anne Sexton

• éditions des femmes

Contribution de PPierre Kobel