La pierre et le sel

Un jour, un texte : Karine Reysset | Le travail de la mémoire

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

 

Karine Reysset

c’est difficile le souvenir
le travail de la mémoire
ça fourmille et en même temps
c’est le trou noir

des images qui s’invitent
sans avoir été conviées
des sensations qui remontent
impression de déjà-vu

la valise des photos
qui dansent devant les yeux
grimaçantes
à force d’être souriantes
         pourquoi tout ce bonheur qui éclate ?
         À quoi ça rime ?

sauver les souvenirs
qui flottent à la surface
de l’eau boueuse de la mémoire
la partie visible de l’iceberg
et les autres enfouis
dans le soleil et la brume
la glace le givre et le coton
y plonger les doigts
tête la première
retrouver un peu de ta peau
ton odeur de lait
et cette blessure
qui m’a fissuré le cœur à jamais
et que j’ai si mal colmatée
avec du mauvais mortier
des prières
des croyances piétinées

maintenant il faut raboter
rouvrir raviver la plaie
faire une saignée
avec du sang rouge
un peu de vie qui coule
de vie qui s’en va
et recouvrir la croûte
de sel et de rires bleus

déposer de l’or
sur ma mémoire lézardée
du ciment doré
sur ces bouts de moi
qui ne se joignent pas toujours

In Une vie comme ça, © Bruno Doucey, 2025

Internet

• Wikipédia | Karine Reysset

• Éditions Bruno Doucey

Contribution de PPierre Kobel

Un jour, un texte : Philippe Pichon | Matin, une pente de vent…

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Philippe Pichon

Main , un pente de vent.
La terre s’ébruite, s’ajoute à la lumière.
Dans la rue les visages, au fond les montagnes dont les jambes s’écartent en rêvent.
Les arbres ont déjà fait le tour du monde, ils n’ont plus besoin de courir.
La mer est ce gris là-bas qui devance le paysage.


L’étendue fait rage, demain chiffonné que l’on reprend.
La forme remonte à la surface, nue dans le jour.
L’odeur glacée des sources, le pan battant de l’horizon.
Nous n’avons plus de liens, ailleurs n’existe pas.
Emportant le silence dans un sac, nous finissons à chaque pas nos regards.


Le froid brandit le ciel, qui s’abat d’un coup.
La nuit facile s’éloigne toujours, disparaît sans se retourner.
La ville muette, les yeux baissés, rentre dans la nature.


Le jour attend un peu, laisse l’aube boire l’univers,
                        délicatement, sans souffler les lumières ni ouvrir aucun cri.
La montagne étourdie par tant de ciel, ne bouge plus.


Voici la lumière assise dans la neige avec un seul oiseau noir.
La terre se dépêche, mais nous n’avançons pas plus loin que le ciel.
Une chapelle, murmure à la façon des arbres sans pouvoir prononcer le mot.


La solitude est le seul chemin, la porte restée ouverte.
Dans le café plus étroit, le crissement des pensées, le sable de la pluie.
Les gens touffus se gardent pour d’autres, qu’ils ne verront jamais.
Le seuil s’est détaché, ce n’était pas cette parole.
On suit longtemps avant d’être ce que l’on était toujours,
                                                                        le soir l’herbe se dirige vers le lac.

In regards, © pourquoi viens-tu si tard ?, 2025 – Avec des illustrations de Jacques Cauda

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• Recours au poème

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Adrienne Rich | Personne ne nous a jamais dit…

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Adrienne Rich

Étude transcendantale (extrait)

Personne ne nous a jamais dit qu’il nous fallait étudier nos vies,
faire de nos vies une étude, comme si nous apprenions l’histoire naturelle
ou la musique, que nous devrions commencer
par les exercices simples d’abord
puis progressivement essayer
les plus durs, en s’exerçant jusqu’à ce que la force
et la précision s’unissent à l’audace
de plonger dans la transcendance, prendre le risque
de s’effondrer dans l’arpège sauvage
ou de se tromper sur la phrase entière de la fugue.
– Et en fait on ne peut pas vivre comme ça : nous affrontons
tout à la fois avant même d’avoir commencé
à lire ou à marquer les temps, nous sommes forcés de commencer
au milieu du mouvement le plus dur,
celui qui résonne déjà au moment de notre naissance.
Tout au plus on nous laisse quelques mois
à simplement écouter la ligne simple
de la voix d’une femme qui chante un enfant
contre son cœur. Tout le reste est trop tôt,
trop soudain, le déchirement, le battement du cœur de cette femme
entendu depuis à distance,
la perte de cette note fondamentale qui résonne
quand nous sommes heureuses, ou au désespoir.

In Le Rêve d’un langage commun, © L’Arche, 2025 — Traduit de l’anglais par Shira Abramovitch et Lénaïg Cariou

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• Wikipédia | Adrienne Rich

• Actualitté | Adrienne Rich rêve d’un langage commun

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Claude Roy | Nuage

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

 

Claude Roy

Nuage

Je regarde le nuage
II est blanc pommelé
Est-il immobile
ou presque immobile?
Je regarde le nuage
si longuement
que je deviens nuage

Le vent doucement
pousse pourtant le nuage
qui s'éloigne peu à peu

Mais moi je reste ici
Je n'étais pas devenu
complètement nuage
Seulement moitié-nuage
et moitié-homme

Ce qui est tout de même
assez différent

In Le noir de l’aube, © Gallimard, 1990

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• Wikipédia | Claude Roy

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Rupi Kaur | ce fut l’une des années les plus formidables…

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Rupi Kaur

ce fut l’une des années les plus formidables et les plus difficiles de ma vie. j’ai appris que tout est temporaire. les instants, les sentiments, les gens. les fleurs. j’ai appris que l’amour consiste à donner. tout. et à le laisser faire mal. j’ai appris que la vulnérabilité est toujours le bon choix parce qu’il est facile d’être dur dans un monde où il est si difficile de rester doux. j’ai appris que toutes les choses vont par deux. la vie et la mort. la douleur et la joie. le sel et le sucre. toi et moi. c’est l’équilibre de l’univers. ce fut l’année d’une souffrance si grande mais d’une vie si belle. faire d’étrangers des amis. faire d’amis des étrangers. apprendre que la crème glacée menthe et copeaux de chocolat répare tout, et pour les douleurs qu’elle ne peut pas réparer qu’il y aura toujours les bras de ma mère. nous devons apprendre à nous concentrer sur l’énergie chaude. toujours. y faire tremper nos membres et apprendre à mieux aimer aux yeux du monde, parce que si nous ne sommes pas capables d’apprendre à être attentionnés les uns envers les autres comment apprendrions-nous à être attentionnés envers la partie la plus désespérée de nous-mêmes.

In Le soleil et ses fleurs, © Pocket, 20219

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• Wikipédia | Rupi Kaur

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : René Depestre | La vie suit son cours

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

René Depestre

La vie suit son cours

Malgré tout, il respire bien, notre monde.
Malgré les présidents qui mentent à leurs citoyens affamés.
Malgré ceux qui mentent à eux-mêmes, au soleil, à l’amour, à la vie.
Malgré les banquiers et le sang d’homme qu’ils font couler chaque matin
À des milliers de kilomètres de leurs banques.
Malgré les états-majors qui font des cartes qui annoncent pour bientôt nos cendres.
Malgré ceux qui font des croix de feu sur le printemps, les écoliers, les amoureux.
Malgré tout ce qui désole ma main
Et fait pleurer mon espoir
Il respire bien, notre monde !

Quelque part un adolescent découvre soudain
Qu’il sera un grand poète
Et le voici qui éclate en sanglots
Très loin de lui une jeune fille découvre dans son miroir la même glorieuse vérité
Et la voici qui a le fou rire.

Notre grande tristesse de ce soir
Est une fourmi tremblante
À la comparer à la force de beauté
Qui va rouler sa vague jusqu’aux jours de notre monde.

In Œuvres poétiques complètes – Journal d’un animal marin ((1964), © Seghers, 2005

Internet

• Wikipédia | René Depestre

• La Pierre et le Sel | René Depestre, d’un exil à l’autre, une contribution de Jacques Décréau

Contribution de PPierre Kobel     

Un jour, un texte : Anne Sexton | Comme nous dansions

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Anne Sexton

LE LIVRE DE LA FOLIE
2. Comme nous dansions

Le soir du mariage de mon cousin
je portais du bleu,
J’avais dix-neuf ans
et nous avons dansé, Père, nous étions en orbite.
Nous bougions comme des anges se lavant.
Nous bougions comme deux oiseaux en feu.
Puis nous avons remué comme la mer dans un bocal,
de plus en plus lentement.
L’orchestre jouait
« Comme nous dansions, le soir de notre union »
Et tu m'as fait valser comme un plateau tournant
et nous étions aimés.
tellement aimés.
Maintenant que tu es embaumé
aussi inutile qu'un chien aveugle,
maintenant que tu n'es plus à l’affût,
la chanson résonne dans ma tête.
L’oxygène pur était notre champagne
et nos coupes se heurtaient, l'une contre l'autre.
Le champagne respirait tel un plongeur sous-marin
et les coupes étaient en cristal et les mariés
s’agrippaient l'un à l'autre dans leur sommeil
comme les danseurs d'un marathon de 1930,
Mère était la plus belle et elle a dansé avec vingt hommes.
Tu dansais avec moi sans jamais prononcer un seul mot.
Au lieu de cela le serpent sifflait quand tu me serrais sur ton sein.
Le serpent, ce persifleur, s'est réveillé et a pressé
sa divinité contre moi et ensemble nous nous sommes inclinés
comme deux cygnes solitaires.

In Folie, fureur et ferveur(1972-1975), © des femmes, 2025

Internet

• Wikipédia | Anne Sexton

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Yvon Le Men | Un ancien enfant

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

 

Yvon Le Men

Un ancien enfant

Quand un homme pleure
il est seul
souvent seul

au bout d’une chanson
qu’il écoute
en boucle

comme pour
s’y pendre

il est seul
souvent seul

au bord d’une fenêtre
où il regarde

le ciel
le ciel
le ciel

comme s’il regardait
vraiment
le ciel
quand un homme pleure

ses larmes
viennent de loin

si loin
si loin
si loin

du ciel

si profond
si profond
si profond

qu’y a-t-il au fond
qu’y a-t-il au loin
de cet homme qui pleure ?

sinon
toujours
le petit garçon

qui attend

espère
toujours
renaître

une fois

une fois pour toutes
de sa naissance

In Les continents sont des radeaux perdus, © Bruno Doucey, 2024

Internet

• Wikipédia | Yvon Le Men

• Éditions Bruno Doucey | entretien avec Bruno Doucey

• France-Culture | Yvon Le Men – Mémoire pour bagage

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Valérie Rouzeau | Nos doigts se tendent…

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

 

Valérie Rouzeau

Nos doigts se tendent
pour attraper
le cœur d'oiseau
nous désirons une épaule
pour nos fronts une voix
pour nos nuits nous
envions l'insouciance
des marguerites
nous mourons même en été

In petits poèmes sans gravité, © La Crypte, 2024

Internet

• Wikipédia | Valérie Rouzeau

• La Crypte

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Emmanuel Robic | En un certain lieu du monde…

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Emmanuel Robic

En un certain lieu du monde, il est des peuples, des rivières qui ont décidé d’ignorer les ombres tristes. Des cours d’eau mal connus des géographes sont las du mépris des humains, trop terrestres désormais pour entendre leurs voix.

Ces lits parfois sinueux et parfois brutalement droits et forts ne se détournent jamais de la vie, celle qui monte et descend en eux au gré des nages en trombe d’eau.

En un certain lieu du monde, des peuples des rivières espèrent que rien jamais ne viendra effacer les ombres heureuses de l’eau qui coulent dans leurs chants.

Sous des ciels sans regards, des cours d’eau mènent à l’oubli, celui de la nudité, de l’émotion d’un baiser du vent, de l’essence des reflets. L’eau y nage le plus souvent en abondance, elle est sans regret, elle n’a aucune mémoire.

Elle chante.

Elle porte des lumières grises, parfois opaques ; elle se déploie avec une seule loi : couronner le ciel et l’aimer de son corps puissant.

In ARPA 147, © ARPA, 2025

Internet

• ARPA

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Claudia Carlisky | Source verticale

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Claudia Carlisky

Source verticale

Mouds le grain de l’aurore
Ruisselle
Palpite au creux des gorges froides
Broie les tiédeurs exsangues
Percute les yeux caves
Blesse
Altère
Tords les gémissements rauques
Noués dans les viscères
Violente
Terrasse
Convulse
Pétris les voyageurs sans âme
Hurle
Sème l’effroi
Distille la terreur
Puis
Quand de ce bouche à nerf à bouche
L’âme cisaillée d’orgueil
De ses cendres renaît
Balance-leur les orgues
Les jets
Les ruissellements d'aurore
Par grands seaux
Laisse-les pantelants
Rassasiés de beauté
Malmène-les
Jusqu'à l'extase

In Sur le tranchant de l’aube, © Unicité, 2024

Internet

• Wikipédia | Claudia Carlisky

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Loránd Gáspár | Suis-moi vers les cimes…

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Loránd Gáspár

Suis-moi vers les cimes, là, monte encore, déleste-toi, désentrave-toi, secoue la pesanteur qui te colle au sang. monte encore. Défais-toi du feu sombre qui te tire à son fond, qui te baise de ses pétales et que tu nommes diversement entre lumière et obscurité, entre commencement et fin. Je t’apprendrai à percer les reflets et les ombres, à te tenir debout sur la coupole éternelle du bleu. Et là se tournant vers la vaste mer du beau, la contemplant, tu enfanteras des discours sublimes, inspirés par un amour sans bornes de la sagesse, tu atteindras la connaissance unique, connaissance de la beauté…

Voilà que tu traînes dans la pénombre des quartiers peu sûrs. Ta parole est une eau sourde aux lueurs incertaines, ton âme, nourrice obscure de cet assemblage instable de lassitudes et de fulgurations, de parfums légers et d’essences putrides. Et ta main tremble d’avoir touché le plein et le creux, ce duvet d’aile dans une pierre –

In Toi n’ayant que ce temps et ce lieu, @ Gallimard, 2015

Internet

• Wikipédia | Loránd Gáspár

• fabula

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Domi Bergougnoux | J’aimais le dur de l’homme…

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Domi Bergougnoux

J’aimais le dur de l’homme
la falaise du dos
son épaule
ses bras
ses mains sur ma colonne qui déploient des marées
les hautes traversées à petits pas d’écume

Tout était net et clair
la terre comme une bille
la roue de l’infini
les heures cerclées de rose
la naissance des mots

Le sable en arabesque recouvrait nos fêlures
renversée sur le dos
j’ai vu un ciel de lave où dansait la colombe

In La chanson à deux bouches, @ Éditions du Cygne, 2025

Internet

• Babelio

• Le Pan poétique des muses

Contribution de PPierre Kobel     

Un jour, un texte : Fabien Sanchez | Dexter Gordon, les hauteurs et la fatigue

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Fabien Sanchez

Dexter Gordon, les hauteurs et la fatigue

Mes sentiments me jettent
sur le pavé.
Au café, je me repose
de telles chutes ;
il est rare que je m’y soigne.

Dexter, je suis sur la rive
où plus rien ne m’arrive.

Les larmes auxquelles
je ne cède pas
conduisent à une déroute
du cœur
qui ne vaut pas
endurcissement.

Tes notes sont comme
autant de harpons
qui frappent mon ennui,
Je suis en bout de course,
mais parfois tu me relèves.
C’est que ta musique
est comme ce whisky
de dernière heure,
quand on se croit au bout,
mais que le bout n’y est pas.

Dexter, ceci est ma lettre que j’ai écrite au désert,
celui où j’ai cherché 1’amour et la foi,
mais le désert c’était moi,
comme toutes ces heures autour de minuit,
dont je me relève à peine,
et que pourtant j’ai vécues.
Ce soir, je me sens comme un pécheur
qui embrasse un ange,
et c’est précisément pourquoi je te dis merci
Dexter,
autour de minuit.
Car c’est en se soustrayant à elle-même que ma vie a
progressé,
et c’est en quittant l’enfance qu’elle m’a mortellement
blessé

Dexter,
je suis libéré du constat de ne pas l’être.

Dexter,
être heureux est un raccourci ;
être malheureux aussi ;
Dexter,
qu’est-ce qui ne saurait l’être ?

Dexter,
que faire sur la dernière rive ?

In Aucun horizon n’est sans conscience, © Unicité, 2024

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• Actualitté

Contribution de PPierre Kobel     

Un jour, un texte : Mirela Papuçiu | Le violon

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Mirela Papuçiu

Le violon

"On se voit en hiver", dit-il
Sans attendre ma réponse
il commença à planter des arbres
Des arbres
Des arbres
Des arbres
Tout une forêt
Il planta aussi un sapin
un ébène
et un érable

Des saisons passèrent
et les arbres furent nourris
du chant des oiseaux
Ils devinrent grands

En automne il me disait
"On se yoit en hiver"
Et tel un arbre je fus nourrie
des cordes de sa poitrine
Je riais

Ce fut un automne tardif
De l'arbre abattu par le premier orage
il fit le manche de la hache
avec laquelle il coupa le deuxième arbre
le troisième, le quatrième…
ce qu’il fallut pour construire
une petite maison chaude
pour deux
Il en coupa d'autres,
des fagots pour la cheminée

Quand ce fut le tour
du sapin
de l’ébène
et de l'érable…

je devins violon

In Faisceau de lumière, © Pourquoi viens-tu si tard ?, 2024 – Traduction de l’albanais par l’auteure

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• Poèmes

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Richard Roos-Weil | Intérieurs

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Richard Roos-Weil

Intérieurs

Temps suspendu / peau à peau /
Savions nous / nous / nommer
Cyrille Latour

L’enjamber ?
Le contourner ?
Ce pardessus vide

Forer aller jusqu'à la garde
Jusqu'au fond

Dire ce qui ne peut sombrer

Toi et moi
Un lit étroit
Ma voix ta main
Pour sentir caresser

Une chambre d'écho

L'annonce de la lumière
L'écho d'un souffle à l'oreille

Qui tisse nos voix
Maladroites indigentes ?

Une brûlure

Un chemin de foudre et d'éclairs
Rendu muet

Dans ce dortoir sans chambre
Ouvrir les fenêtres
Te soigne

Tu ne peux n'oses

Nous posons nos têtes sur l'oreiller
Et conversons ensemble
Endormies

In Carnet de Bègue, © unicité, 2023

Internet

• Unicité

• Recours au poème

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Marie Alloy | Demande

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Marie Alloy

Demande

C'est à l'arbre dans la foret bouleversée
que je demande mon chemin
C'est à mon frère revu en rêve
que je demande de l'aide
C'est à la tempête qui se prépare
que je demande la paix et le retrait
C'est aux mots qui m'arrivent
que je demande le secret
- C’est à l'amour dans sa double présence
que je ne demande rien – rien que l'approche
qui fait résonner les corps au fond de soi
et qu`un aubier protège sous l’écorce
de l'arbre unique divisé en deux branches

C'est à l'arbre des émotions que je m'attache
C'est sous les ombres de ma douceur
que je cherche ma révolte
C’est dans le passage poreux des souvenirs
que j'entrevois le torrent des peurs
les tourbillons d'eaux qui faisaient grincer les branches
au-dessus des tuiles de la maison d'enfance
sans cesse frappée par le vent

C'est au cœur des hommes que je ressens la main
qui prend et travaille le corps laissant à peine à l'esprit
le temps de se reprendre quand sous les touchers
les pensées retombent comme dans un vide planétaire
un trou noir sous mes paupières naïves et closes

Parfois les bruits s’arrêtent comme la pluie
Il fait un grand silence dans les cœurs
mais quelque chose tressaille et attend
un cri un chant une dernière histoire un aveu

Nos pas ne savent où ils vont d'où ils viennent
mais sous les arbres parfois on peut surprendre
l’infime écho d'un oiseau ouvrant ses ailes
ou la lumière glisser sur les feuilles

Sous l'étendue moite du ciel gorgé des pluies
l’aube poursuit les nuages plongés dans le fleuve
en robe de brillances roses rayées de gouttes
Là nous débordons d'images nos yeux abondent
nos mots sont bus et nous les laissons - nous aimer

Pénélope tisse sa toile et la détisse tour à tour
avec les fils volatiles de la pluie et de la lumière
Pénélope a le front sur la vitre
– elle n est plus que regard
porté au loin toujours plus loin
que les yeux ne peuvent aller
sans en revenir

– Ainsi ne voit-t-elle pas la pluie délaver
les couleurs des hauts murs qui la cernent
et dont personne ne peut s'échapper

Il faudrait pour cela trouver LA CLEF DES CHAMPS
jetée dans le temps et que retient
la peur de l'enfant gelée

In La ligne d’ombre, © Al Manar, 2024

Internet

• Al Manar | Marie Alloy, La ligne d’ombre

• Wikipédia | Marie Alloy

• Le silence qui roule

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Patrice Cazelles | Zaoum du confinement

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Patrice Cazelles

Zaoum du confinement

FUCK LE CONFINEMENT ! LE QUINTET DES CATHÉTERS EN SOUS-SOL MINEUR ? DÈS LORS QU’À BERGAME ON SUIT DES SUAIRES SANS SERMONTS ?

DES AÎNÉS QUI S’ FROTTENT L’HISTORIQUE DANS L’NOIR ! TOUT SEULS ! C’EST COMME QUAND ON R'VIENT DU JACUZZI SANS LES BULLES, S’PAS ? ON R'GRETTE LE BON TEMPS QU’ON ÉTAIT TOUT DÉTENDU DES TENDONS, SOUS LA COUETTE ! DANS LA OUATE A CINQ HEURES ! LA PIPE À PORTÉE D’MAIN !

« BEN DIÉ ! Y’A LPRINTEMPS QUI PREND SON TEMPS C’TE FOIS ! »

LE SENS AINÉ QUI PORTERAIT L’AVNIR COMME UN PULL-À- TROUS DANS L’HIVER !

SI ON A PAS PÉRI C’TE FOIS C’EST QU’ON EN SORTIRA PLUS FORT ! QUI DIT L’PHISOLOPHE ! TU CROAS ?

PLUS FORT EN GUEULE ÇA C’EST SÛR !

I’LES ENTENDS D’JÀ JACTER ! CEUX QU’ON ÉVITÉ L’MAL ET QUI SONT PAS GUÉRIS DE LA HAINE POUR AUTANT ! À PEINE SORTI D’LA YOURTE Ï VONT MÉDIR DE CEUX QU’ÉTAIENT PLANQUÉS À L’ARRIÈRE DANS LEUR CAMPEMENT SECONDAIRE ! COMPISSER LES MIEUX QU’EUX ! SE RARÉFIER DEVERS LES SANS-AISE !

MAIS QU’EST-CE QUI GIT DANS L’ÊTRE QUI TOURNE À VIDE ? HEIN ? QUELLE VIE S’ÉVIDE DANS LES LATENCES ? QUELLE VOIX ?

QUELLE RÉPONSE À LA SOIF DE L’AUTRE EN SOI ? QUEL INSTINCT QUI VEILLE SOUS LES CENDRES À REYBOUTH ?

DE QUELLE SORTE QUI NOUS SORTE DE LÀ ?

SAINTEZ-VOUS LA SAINTÉ DES VOIX RESPIRATOIRES ?

CE RETARD DANS LE REGARD D’L’ENFANT QUI DOUTE ? UNE FUITE EN SENS ADVERSE ? AUCUN RAPPORT DES GUIDES AU RETOUR, RIEN !

NICHTWAR ! PAS DE TRAÎNE À SUIVRE NI DES CAILLOUX ! HIBOU ! JOUJOU ! CHOUX BLANC !

RESPONDITEZ MOI LES GENS !

AUCUNE FOIS J’AI DIT QU’ON VA SURVENIR MEILLEUR, MAIS LA PLACE EST LIBRE !

IL POSTO E LIBERO !

In Zaoum, © Unicité, 2024

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• Éditions Unicité

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Atieh Attarzadeh | Tailler la pierre

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Atieh Attarzadeh

Tailler la pierre

Tu as été dessiné par une femme primitive sur les parois des grottes d’Altamira
À côté des saillies d’une gorge
Tu as été gravé par une femme primitive à côté des traces de loups morts
Avec l’os facial d’un homme qui comprenait le langage des aigles décapités
Et avec la cendre de grands chênes
Elle t’a dessiné de lumière, d’os et de bigarade
Avec des flocons de neige fondue sur le cou
Toute chose prend vie dans l’eau
Moi par une goutte de sang tombée de ta main sur la pierre
Autour de ta tête, elle a gravé un paradis avec un triste épouvantail
Tes yeux tournés vers le ciel
Tes lèvres pour dire « Tes pas seront des semences »*
Près des vaches qui allaitent les oliviers abattus

Tu es un peu plus étrange que Dieu
Et quand tu marches la Terre s’incline un peu sur la droite
Juste un peu à l’est du firmament violet
Quand tu marches
Une pierre millénaire se transforme en eau dans ma gorge
Tu as été dessiné par une femme primitive sur les parois des grottes d’Altamira.

*Adonis, Le poème de Babel dans Toucher la lumière

In Je respire sous la pierre, © Bruno Doucey, 2024

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• Maison de la poésie | Atieh Attarzadeh

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Jean-Baptiste Pedini | Un monde à nu

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Jean-Baptiste Pedini

L’odeur de la nuit sur ta peau fait un ciel d’été à la chambre assoupie.

L’intimité est un trou d’air. Mon corps serré contre ton corps dort à la belle étoile.

                                                            *

Je cherche un peu de rose dans le ciel automnal. La douceur des matins où tu somnoles sur la terrasse. Les épaules chaudes de soleil. Les seins en relevant la courbe. Je cherche un peu la vie d’avant dans le plat de nos ombres.

In Un monde à nu, © cheyne, 2024

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• Cheyne | Jean-Baptiste Pedini

Contribution de PPierre Kobel