Le roman récemment publié que Gaëlle Nohant consacre à Robert Desnos est l’occasion de remettre en lumière, un poète qui ne devrait jamais la quitter. Dans un numéro de la revue Incognita qui lui est consacré par Luc Vidal et Marie-Claire Dumas, Gaëlle Nohant écrit :
« Je voulais qu’on entende ses battements de cœur, qu’on ressente ses angoisses matérielles quotidiennes, que le lecteur le voie vivre auprès de ses amis et des femmes qu’il a aimées. Je crois que ce poète, qui a vécu tellement de vies en une et existé si intensément le temps des quarante-cinq années qui lui étaient imparties, a non seulement la stature d’un héros de roman, mais qu’il a une dimension « grand public », par ce mélange de culture et de gouaille populaire, de virtuosité et de simplicité. Je l’imagine comme un être complexe et chaleureux, secret et liant, tourmenté et tendre, et il me semble que son parcours artistique est un mouvement continu d’ouverture au monde, à la fraternité, animé d’une liberté farouche et d’une passion qui ne désarme jamais. »
In Incognita n°9, Robert Desnos, © Le Petit Véhicule, 2017, p.117-118
Et dans la recension qu’en fait Florence Trocmé dans Poezibao, elle s’interroge ainsi :
« […] Un tel livre, qui me semble en mesure de faire connaître l’homme Robert Desnos et sa remarquable et terrible destinée, peut-il conduire vers l’œuvre ? […] Il faut le souhaiter et pas uniquement comme un bénéfice secondaire du livre ! Afin que ceux qui auront eu, peut-être, l’impression de rencontrer un merveilleux écrivain puissent aussi approcher l’œuvre, et aller un peu au-delà de la fourmi de dix-huit mètres ! Rencontrer donc vraiment Robert Desnos, rencontre que seule l’œuvre peut permettre. »
Ainsi ce roman a le mérite de mettre le focus sur un auteur qui n’a jamais cessé d’inscrire son œuvre dans le réel autant que dans un mouvement artistique, de la conduire à une invention langagière incessante, puisée à un surréalisme sans artifices, de la mettre en regard de la marche du monde et de ce que l’art peut y changer.
Desnos a affirmé dès l’adolescence une volonté d’indépendance, rebelle aux écoles et à sa famille, inventeur de sa propre destinée qui sera sans concessions aux dictatures, l’insolence de son « Maréchal Ducono » à l’adresse de Pétain suffit à le dire. Homme de langage, il le nourrit de multiples passions, pour la littérature qu’il connaissait en profondeur, mais également pour les musiques du monde et le jazz, la chanson, le cinéma qu’il recensait dans ses articles nombreux quand il ne professait pas à la radio un onirisme inventif et porteur d’espérances. Homme de fidélité quand il accompagna le tragique de la destinée d’Yvonne George avant de partager les hauts et les bas de sa relation passionnelle à Youki, quand il se dévoua sans faille à ses amis, accompagnant leurs projets artistiques, soutenant leurs déboires personnels, hébergeant les plus démunis. Homme d’engagement quand il prit position dès les années trente contre la montée des fascismes, dénonçant les totalitarismes et les atteintes à la liberté de parole, quand il prit fait et cause pour la Résistance durant la Seconde Guerre Mondiale avant d’être arrêté pour cela et de mourir à Terezin.
À travers les facettes multiples de sa riche personnalité, il se dessine un homme d’une étonnante modernité. Et si les circonstances n’avaient pas conduit à sa mort prématurée, il est possible de penser que sa voix d’artiste et d’homme de son temps aurait pesé sur l’opinion d’après-guerre. C’est cette richesse artistique, cette modernité psychologique, cette humanité sans faille, cette expression pleine d’empathie où le sérieux savait s’habiller d’humour qui nous le rendent toujours présent et actuel.
Littérature
Je voudrais aujourd’hui écrire de beaux vers
Ainsi que j’en lisais quand j’étais à l’école
Ça me mettait parfois les rêves à l’envers
Il est possible aussi que je sois un peu folle
Mais compter tous ces mots accoupler ces syllabes
Me paraît un travail fastidieux de fourmi
J’y perdrais mon latin mon chinois mon arabe
Et même le sommeil mon serviable ami
J’écrirai donc comme je parle et puis tant pis
Si quelque grammairien surgi de sa pénombre
Voulait me condamner avec hargne et dépit
Il est une autre science où je puis le confondre.
In Les Nuits blanches
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La Prophétie
D’une place de Paris jaillira une si claire fontaine
Que le sang des vierges et les ruisseaux des glaciers
Près d’elle paraîtront opaques.
Les étoiles sortiront en essaim de leurs ruches lointaines
Et s’aggloméreront pour se mirer dans ses eaux près de la Tour Saint-Jacques.
D’une place de Paris jaillira une si claire fontaine
Qu’on viendra s’y baigner, en cachette, dès l’aurore.
Sainte Opportune et ses lavandières seront ses marraines
Et ses eaux couleront vers le sud venant du nord.
Un grand marronnier rouge fleurit à la place
Où coulera la fontaine future,
Peut-être dans mon grand âge
Entendrai-je son murmure ;
Or le chant est si doux de la claire fontaine
Qu’il baigne déjà mes yeux et mon cœur.
Ce sera le plus bel affluent de la Seine,
Le gage le plus sûr des printemps à venir, de leurs oiseaux et de leurs fleurs.
In Contrée
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Poser sa tête sur un oreiller
Et sur cet oreiller dormir
Et dormant rêver
À des choses curieuses ou d’avenir,
Rêvant croire à ce qu’on rêve
Et rêvant garder la notion
De la vie qui passe sans trêve
Du soir à l’aube sans rémission.
Ceci est presque normal,
Ceci est presque délicieux
Mais je plains ceux
Qui dorment vite et mal,
Et, mal éveillés, rêvent en marchant.
Ainsi j’ai marché autrefois,
J’ai marché, agi en rêvant,
Prenant les rues pour les allées d’un bois.
Une place pour les rêves
Mais les rêves à leur place.
In État de veille
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Vent nocturne
Sur la mer maritime se perdent les perdus
Les morts meurent en chassant des chasseurs
dansent en rond une ronde
Dieux divins ! Hommes humains !
De mes doigts digitaux je déchire une cervelle
cérébrale.
Quelle angoissante angoisse
Mais les maîtresses maîtrisées ont des cheveux chevelus
Cieux célestes
terre terrestre
Mais où est la terre céleste ?
Bibliographie partielle
- Gaëlle Nohant, Légende d’un dormeur éveillé, © Héloïse d’Ormesson, 2017
- Incognita n°9, Robert Desnos, © Le Petit Véhicule, 2017
Internet
- Le site de Gaëlle Nohant
- Les éditions du Petit Véhicule
Dans La Pierre et le Sel
Contribution de PPierre Kobel