La pierre et le sel

Un jour, un texte : Laurence Blin | Sixième sens

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

 Laurence Blin

Sixième sens

J’ai tellement refusé la mort, que je n’ai plus de mémoire. Plus de mémoire.

Et puis, le déracinement. Le départ de ma ville natale, de mon pays de sel. Des grues sur les docks à l’aube ensoleillée. Des chaussures en plastique sur les rochers, quand, avec un couteau, je décollais les arapèdes avec Papa. De la ligne d’horizon sur la mer, au-delà de laquelle l’esprit se permettait tous les vagabondages. Au-delà de laquelle on se lançait le défi d’arriver à la nage : « le premier qui arrive en Algérie a gagné ! »

De mon pays d’odeurs, celle de la rocaille chauffée au soleil, celle de la terre mouillée des vignes où l’on s’enfonçait pour ramasser les poireaux de campagne. Celle de la grappe de raisin qui s’écrase dans le seau des vendanges.

De mon pays où sont les cimetières où reposent mes morts.

In Écrits du Nord 31-32, © Henry, 2017

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• Éditions Henry | Les Écrits du Nord

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Frédéric Jacques Temple | En Méditerranée

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Frédéric Jacques Temple

En Méditerranée

Large tunique verte et bleue
et ses écailles de soleil,
mer, soumise à la valse des vents,
où vont dauphins en sarabande,
compagnons des antiques rameurs.

Mer des sirènes cajoleuses,
vivandières des rocs naufrageurs,
j’écoute ses longs soupirs de sable,
rengaine qu’Ulysse entendit
et qui parle une langue sans âge.

Sous l’ardent miroir solaire,
dans le remous d’un clair-obscur
où luit la grande étoile rouge,
ondulent les molles méduses
aux caresses venimeuses.

Par les champs d’ulves, de gorgones,
tanguent les hippocampes d’or.
Dans le lourd secret des amphores
affûts des murènes acerbes
somnole la mémoire du temps.

In En Méditerranée, © La Margeride, 2016

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• Wikipédia | Frédéric Jacques Temple

• Éditions de la Margeride

Contribution de PPierre Kobel

Un jour, un texte : Souad Labbize | Te voici proche...

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Souad Labbize

Te voici proche
du bouton discret
angle mort
de ma géologie intime
tu fouilles mes territoires caverneux
ma peau rempart docile
à ta bouche offerte
ta langue aqueduc
achemine l’eau rare
gouttes précieuses
stalactites
illuminent la pente
vers la plaine du repos
bientôt l’une de nous
atteindra le sommet
de la via ferrata
balisée par l’autre
me voici proche
de la délivrance
ma voix agrippée
à la rampe brûlante
de l’ultime échelon

une lueur éclaire
un sol de stalagmites

In Brouillons amoureux, © Éditions des Lisières, 2017

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• Wikipédia | Souad Labbize

• Éditions des Lisières

Contribution de PPierre Kobel     

Un jour, un texte : Charles Baudelaire | Les métamorphoses du vampire

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Charles Baudelaire

Les métamorphoses du vampire

La femme cependant, de sa bouche de fraise,
En se tordant ainsi qu’un serpent sur la braise,
Et pétrissant ses seins sur le fer de son busc,
Laissait couler ces mots tout imprégnés de musc ;

« Moi, j’ai la lèvre humide, et je sais la science
De perdre au fond d’un lit l’antique conscience,
Je sèche tous les pleurs sur mes seins triomphants,
Et fais rire les vieux du rire des enfants. (…)

Quand elle eut de mes os sucé toute la moelle,
Et que languissamment je me tournai vers elle
Pour lui rendre un baiser d’amour, je ne vis plus
Qu’une outre aux flancs gluants toute pleine de pus ! (…)

In Les fleurs du mal, © Le livre de poche

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• Wikipédia | Charles Baudelaire

• La Pierre et le Sel | Charles Baudelaire, poète maudit, une contribution de Jean Gédéon

• Baudelaire

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Béatrice Libert | Doublure

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Béatrice Libert

Doublure

Chaque matin je me dis au revoir.

Je sors de moi et tourne la clef dans la serrure.

Celle qui s’en va, inquiète et lourde, n’a rien à voir avec celle qui reste, altière et sereine.

Au bout de longues heures, elles se retrouveront, n’auront rien à se dire, dîneront face à face, se coucheront côte à côte, avec si la mémoire est bonne et la main secourable, un poème entre elles deux.

*

Chaque matin m’exalte.

J’ouvre les yeux et me recharge en mystère.

Celle qui embarque en moi, dans le blanc souvenir des asphodèles, cœur battant, rire large, coupe l’herbe sous le pied de la morte-saison.

*

Chaque matin, le ciel comme arche de bienfaits.

Je souris aux muscaris. Je m’appelle pluie. Je m’épelle vent, me nomme embellie, me surnomme feu-follet, m’invente aérolithe, me sacre parhélie.

Et si s’embrume l’éclaircie, le temps qu’il fait en moi rassure le climat.

*

Chaque matin, j’oublie qui m’habite.

Suis-je ancolie ou myosotis ?

Je réinvente mon histoire dans le vol vibrant d’une mouche, l’articulation souple d’une chatte grise.

Me plaît ce pouvoir de m’abstraire pour attenter à mes propres conjugaisons.

J’en ressors parfois anéantie, mais libre de bondir de travers.

*

Chaque matin, tu me touches et me dis viens…

Viens dans les couleurs qui nous appellent et nous refondent.

N’attendons pas que le jour tombe, que se fanent les pivoines ni que s’enrobent de vécu les à-peu-près du destin…

In ARPA 133-134, © Arpa, Octobre 2021

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• Wikipédia | Béatrice Libert

• ALCA | Rencontre avec la poète Béatrice Libert

• ARPA

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Gabriel Cousin | La beauté doit frapper à tour de bras

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Gabriel Cousin

La beauté doit frapper à tour de bras

Je suis mort depuis longtemps
Tout autour de mon souvenir
La beauté viendra frapper à tour de bras

Partout dans le monde les enfants de nos
arrière-petits-enfants referont notre planète
Je les sens replanter l’herbe et les arbres
Je les vois nettoyer les mers et les rivières
Je les entends reboucher le trou dans l’ozone
Je les sais réguler la population terrestre
Je les devine s’assemblant pour les élections mondiales

Je puis me dissoudre tranquillement
Après ma mort les temps viendront
Où la beauté frappera à tour de bras
Partout sur la terre la moisson de la beauté mûrira
Partout naissent des adolescentes dont les formes
tissent les mailles où se prend le cœur de la Paix
Partout se lèvent des adolescents dont les muscles
captent la lumière de la Tolérance

Je puis disparaître sereinement
À tour de bras la beauté assaille sans relâche
les hommes et les femmes de ce temps
qui écoutent et parlent ensemble
qui offrent leurs yeux et leurs lèvres
Je ne suis pas mort
La beauté a frappé à tour de bras

In La beauté doit frapper à tour de bras, © Europe n° 995, 2012
In Des voix pour la Terre, © Bruno Doucey, 2021

Bibliographie partielle

• Des voix pour la Terre, © Bruno Doucey, 2021 — Sortie en librairie le 25 novembre 2021

Internet

• Éditions Bruno Doucey | Des voix pour la Terre

• Wikipédia | Gabriel Cousin

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Florence Saint-Roch | On se sent tout désorientés…

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Florence Saint-Roch

On se sent tout désorientés
Dans ce pays de ciel gris

Les gens qu’on interroge
Si peu au fait des directions

Pas de carte dans leur tête
Pas d’itinéraires ni de plans

Savent-ils seulement
Où ils vont

Jours pâteux
L’hiver en son indécision

Un rêve de sommeil alourdit nos yeux

On hésite aux carrefours
Toutes les routes se ressemblent
Dirait-on

Certains décrètent
Tout est plus simple de nos jours
Avec la géolocalisation

On aimerait affirmer le soleil
Oser un sang tumultueux
Avoir lieu tout simplement

In Bouger les lignes, © L’Ail des ours, 2021 avec des encres de Roselyne Sibille

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• terre à ciel | Florence Saint-Roch

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Eugénio de Andrade | Fais une clef…

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Eugénio de Andrade

Fais une clef, même petite,
entre dans la maison.
Consens à la douceur, aie pitié
de la matière des songes et des oiseaux.

Invoque le feu, la clarté, la musique
des flancs.
Ne dis pas pierre, dis fenêtre.
Ne sois pas comme l’ombre.

Dis homme, enfant, étoile.
Répète les syllabes
où la lumière est heureuse et s’attarde.

Répète encore : homme, femme, enfant.
Là où plus jeune est la beauté.

In Blanc sur blanc, © La Différence, 1988

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• Wikipédia | Eugénio de Andrade

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Marina Tsvétaïéva | La lettre

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Marina Tsvétaïéva

La lettre

On ne guette pas les lettres
Ainsi — mais la lettre.
Un lambeau de chiffon
Autour d’un ruban
De colle. Dedans — un mot.
Et le bonheur – C’est tout.

On ne guette pas le bonheur
Ainsi — mais la fin :
Un salut militaire
Et le plomb dans le sein –
Trois balles. Les yeux sont rouges.
Que cela. — C’est tout.

Pour le bonheur — je suis vieille !
Le vent a chassé les couleurs !
Plus que le carré de la cour
Et le noir des fusils.

(Que le carré de l’enveloppe :
Encre et attraits !)
Pour le sommeil de mort
Personne n’est trop vieux.

Que le carré de l’enveloppe.

In Le ciel brûle, © Cahier des brisants, 1987  – Traductions de Pierre Léon et Ève Malleret

Internet

• Wikipédia | Marina Tsétaïéva

• La Pierre et le Sel | Marina Tsvétaïéva, une contribution de Hélène Millien

• La Pierre et le Sel | Marina Tsvétaïéva, l’oiseau-Phénix, une contribution de Jacques Décréau

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Thierry Metz | L’homme qui penche

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Thierry Metz

L’homme qui penche (extraits)

2.

S’amincir,
Émacier le texte le plus possible.

Chaque mot maintenant désigne la maison et l’habitant, la rencontre et la réparation.

La maison, l’habitant.

Je sais seulement qu’ils existent.

Seulement ça.

D’abord.

9.

Que seulement passent les heures.

Pour les empiler.

Pour conserver l’interrogation.

La délivrer des réponses.

18.

Depuis ce matin je tourne autour d’un petit poème dont rien n’est le centre. Les mots m’en éloignent. Avant d’y entrer il faudrait pouvoir en sortir. Les feuillets s’accumulent allant davantage vers le noir. Rien ne s’échappe de cette lumière, comme Perceval de la forêt.

Chaque mot écrit échappe à ce qu’il dit. On y retourne, plus aveugle encore.

42.

J’écris pour ne plus trop m’éloigner de ce que j’ai à faire.

Avec l’autre, celui qui voit tout : le buveur.

J’écris avec ce qui me reste, entre le pouce et l’index, dans un pincement d’étoile.

54.

Le langage n’a sans doute d’accessible que l’indicible. Et l’indéchiffrable.

L’accès n’est ni dedans ni dehors.

Introuvable et pourtant là.

L’imperceptible est notre seule et souriante complicité.

74. 

De jour en jour je reprends le visage, le même visage inachevable, comme une trace presque effacée. Chacun peut le voir mais voir n’est qu’un élément du regard – son espace et sa limite.

Visage que je croise dans un des couloirs, près d’une porte ou fumant une cigarette dans l’entrée. Toujours lui, jamais le même. Des fois un salut ou un sourire, des fois : rien. C’est qu’en approchant du monde on s’éloigne de ses portes.

In L’homme qui penche, © Pleine page, 2008

Internet

• Wikipédia | Thierry Metz

• Allociné | L’homme qui penche Sortie en salles le 8 décembre 2021 du documentaire de Marie-Violaine Brincard et Olivier Dury, © Survivance, 2020

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Tatiana Oroño | Il n’y a que ce qui manque

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Tatiana Oroño

Il n’y a que ce qui manque

Je ne peux rien raconter, car l’histoire n’existe pas, n’est pas arrivée. Voilà ce qui arrive quand j’écris.

Ou plutôt : il y a bien une histoire. Celle des ombres de la main, de la chaleur émanant de la main qui cherche, agitée. Celle qui reste en dehors des faits racontés, comme l’ombre reste en dehors du corps.

J’aspire toujours à la trouver. L’histoire que voilà.

In Ce qu’il faut dire a des fissures, © L’Oreille du Loup, 2012
Traduction de l’espagnol (Uruguay) par Madeleine Stratford

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• Wikipédia | Tatiana Oroño (espagnol)

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Jean-Pierre Luminet | Les germes impérissables…

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Jean-Pierre Luminet

Les germes impérissables n’ont besoin
que de la matrice préparée par les eaux et les limons
ce sont racines plus tenaces que le chiendent

Le désir forcené ne craint la confusion ni l’absurde
la continuité serpente à la surface
perce ses entrailles
s’élève et s’enfonce dans les espaces célestes
où nous ne la découvrons plus que par les traits de feu qu’elle jette

Il se produit une curieuse résurgence
carapaces incrustées de tubercules et de sillons
portant bêtes et plantes marines
organismes insérés en d’autres organismes
les espèces végétales et animales se fondent
fluidifient les formes
avatars d’un rêve familier

Le double vertige se mue en cauchemar
la pente de l’esprit n’est plus au mécanisme

D’une ténuité prodigieuse
c’est un être de feu non immortel

In La Nature des choses, © Cherche-Midi, 2012

Internet

• Wikipédia | Jean-Pierre Luminet

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Lydia Claude-Hartman | Tu secoues des ans les pluies…

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Lydia Claude-Hartman

Tu secoues des ans les pluies dont nos paumes
Après la chute s’enluminent
À nos veines s’infusent la drogue naturelle
L’occulte à travers un écheveau de nerfs
patiemment éclairci

Patiemment d’entre les pages du temps tes jours
qui s’éloignent essaiment l’heure intemporelle

Vois des bêtes sourire
L’humain s’unir au carrefour des contraires
Et ces cailloux qui volent
Venus des fleuves où nous naquîmes
Ta voix sourde irradier la parole qui suggéra
Le sens la chose le chiffre d’une antériorité

Sur le lit d’ailes tu te redresses sans finir
Tu bois la pourpre des pierres où demain le soleil
à genoux luira la tendresse d’un rite
D’aube en aube alenti.

In Le fleuve de verre, © Arcam, 1983

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Pier Paolo Pasolini | Nuits au Frioul

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Pier Paolo Pasolini

Nuits au Frioul

Les grillons ces soirs-là chantaient
Dans les champs du Tagliamento, dans la vaste,
Mort des terres. Et Casarsa parut à l’horizon,
Flamboiement de voix et de cris, refuge clos
Pour ses habitants.
                Églises désertes, et cheminées
Éteintes, outils abandonnés, j’ai vu, libéré,
Frioul, le grommellement de tes enfants.

Avec eux j’ai tramé de vieilles intrigues amoureuses.
J’ai couru les routes ; ici, San Vito avec ses maisons blanches,
Là Floreano, si chaud derrière les haies.

J’ai su que l’heure ne fuit pas et que les années
Demeurent toujours les mêmes sur le rire qui ne change pas
de ces gens en fête, sur ces amours
Que n’orne que le chant des grillons
Entre de vieux murs et une solitude emprisonnée.

Ainsi, dans le tremblement d’une guitare et les cris
D’un enfant soudain proche,
Je me suis abandonné, ô mon village, aux nuits
De ton histoire.

             Et cependant l’ombre distante
Des collines était zébrée d’éclairs qui rappelaient
Que ni la pluie ni la bourrasque ni la dureté
De l’hiver ne sont des dons ingrats.

In Pier Paolo Pasolini Adulte ? Jamais Choix de poèmes et présentation par René de Ceccatty - © Seuil, Points, 2013

Internet

• Wikipédia | Pasolini

Contribution de PPierre Kobel

Un jour, un texte : Mary Low | Rencontre

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Mary Low

Rencontre

Depuis que je te connais
j’ai la joie intime des ciseaux ;
j’aime les chats et la muscade,
les larmes d’une musique aveugle dans la nuit,
le soupir du feu entre les cendres.

Depuis que je te connais,
la cravache a appris mon nom,
les escaliers et les roses ont des éperons ;
les palmiers inclinent leur chevelure
pour me regarder dans tous les miroirs.
Le petit jour m’ouvre sa blessure
au son d’une flûte
qui me déchire le cœur.

Je me sens comme l’oméga :
pleine de soie tiède
infinie et absente.

In Sans retour, © Syllepse, 2000

Internet

• Wikipédia | Mary Low

Contribution de PPierre Kobel     

Un jour, un texte : Gérard Noiret | Les amants

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Gérard Noiret

Les amants

À se tenir par les épaules,
ils blessent les yeux des passants.
Mais à qui la faute s’ils déjouent les pronostics ?
Si pour eux les mêmes bruits
ne produisent pas les mêmes effets ?
Si le ciel éloigne de leurs batailles
les oiseaux de mauvais augure ?
Si leurs réussites jamais ne retournent
la dame de pique ? Oui, à qui la faute
si partout et toujours autour d’eux
les absents tendent à rayonner ?

In Pris dans les choses, © Obsidiane, 2003

Internet

• Wikipédia | Gérard Noiret

• La Pierre et le Sel | Un poète humaniste, Gérard Noiret – Pris dans les choses, une contribution de Jean Gédéon

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Annabelle Gral | J’aurai aboli...

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Annabelle Gral

J’aurai aboli
le demi-souffle
la demi-peine

Je saurai un jour
refléter les éclats
des gouttes de pluie
pleurer         de mes yeux pleurer

Un jour je saurai
rejoindre les lentes espérances
jouer de toutes les peines
marquer mon pas au noir et au blanc des soirs

Mes montagnes seront mes fleuves
glissant sur la peau de l’été

Et un jour      oui un jour ! crier
dans les éclats des gouttes de pluie
qui font pleurer

In Arpa n° 131, © Arpa, 2021

Internet

• Wikipédia | Arpa

• Le site de Arpa

• Comme un ruisseau de cailloux, Le blog d’Annabelle Gral

Contribution de PPierre Kobel     

Un jour, un texte : David Christoffel | Le nouveau cancre

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

David Christoffel

Le nouveau cancre

Il dit « non » avec la tête
Mais il dit « oui » avec le cœur

Ou alors :
Il dit « oui » avec la tête
Mais il dit « non » avec le cœur

Et comme ce n’est pas très agréable
non plus
Il soupçonne son cerveau de
tout manipuler

Alors, il comprend : plus il dit oui
avec la tête
Moins il peut dire non avec le cœur
Et, inversement,
Plus il dit oui avec le cœur
Moins il peut faire mine de rien.

Il fait « coucou » avec une main
Mais il a dit « au revoir » avec deux
mains

Des fois, il frime avec ses cheveux
pour, peu de temps après,
s’en excuser par un petit coup de
coude…

Si, depuis quelque temps,
il sait bonjour avec le coude
il a encore du mal à dire grand-chose
avec les genoux

De là à dire que le langage corporel représente 55 % de tout ce qu’il dit, c’est sans compter sur les messages
contradictoires qui, en semblant annuler ce qu’ils pourraient vouloir dire, ajoutent en précision par brouillage dans les 100 % et quelques de tout ce qu’il exprime.

Il peut très bien bomber le torse pour tenter de ralentir les battements de son cœur.

Un mouvement du corps pouvant en compenser un autre, il peut aussi battre la mesure avec le gros orteil pour éviter de toujours hocher la tête quand il adhère à ce qu’il entend.

Si, en plus, on considère qu’en se grattant la nuque, il dit qu’il ne pense pas exactement ce qu’il dit, il faudrait comprendre que les 55 % dits avec les froncements de sourcils ou les tapotis des doigts sont donc beaucoup plus révélateurs et fiables que les 45 % de tout ce qui se dit avec les mots.

In Gustave 17, 2021

Internet

• Gustave, mensuel de poésie

• Wikipédia | Stéphane Bataillon

• Babelio | David Christoffel

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Nicole Barromé | De la déesse

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Nicole Barromé

De la déesse

On a dit qu’elle avait au petit jour
Des pieds d’églantier
Des jambes rocher
Un tronc d’ébène
Rehaussé de perles géantes oblongues

À midi
Ses bras étaient lichen
Ses mains
Touffes
Grande fête pour le volatile niché
Son visage
Un lac où les regards s’abîmaient
Sa bouche badait au ciel sa plénitude
Ses yeux
Mystères impalpables de souffles
Tantôt ouverts, tantôt fermés
Ses narines
Curiosités subalternes
Débattues aux jardins de joues rosies

Et le soir
Sa chevelure habituée à puiser des nuages
Sa sève
S’enrageait
Méconnaissable
En rêves farcis de totems

In Génésiques, © Rougier V, 2020

Internet

• Autour des Auteurs – Association des auteurs en OCCITANIE Pyrénées-Méditerranée | Nicole Barromé

• Éditions Vincent Rougier

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Jacques Gaucheron | Suis-je ?

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Jacques Gaucheron

Portrait par Boris Taslitzky

Suis-je ?

Le mensonge est un trou
Creusé dans la poussière
Comme une vraie sépulture.

On se sert pour les vivants
de l’amère géographie
Dans laquelle il est dit
Que les rivières se perdent.

Perdu dans un pays de grotte et de cavernes
Dans un décor obscur où l’on oublie ses rives
Dans les entrailles de la terre
Dans le ventre d’une autre mère

Et l’on renaît à la lumière
Avec une pseudo-vie
Qu’on vit sous un pseudonyme.

Il y a du soleil dans mes yeux
D’étranges yeux que j’ai payés
Au magasin des accessoires.

Mort, fausse mort ou fausse vie
Là-haut les amis psalmodient
La litanie des disparus.

Carnet clandestin

In Pierre Seghers La Résistance et ses poètes, © Seghers, 2004

Internet

• Wikipédia | Jacques Gaucheron

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Rachel | Moi et toi

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Rachel

Moi et toi

Gardant silence – toi et moi,
En attente – moi et toi,
Dans mes sinueux secrets l’obscurité
Et le silence dans mes sinueux secrets.

Je ne tendrai pas la main – comprends-tu ?
Je ne prendrai ta main comme guide.
Je me tairai et j’attendrai – un signe.
Je me tairai, j’attendrai.

Même si tu te moques : « obstinée comme toi ! »,
Si tu t’éloignes – je scellerai le jugement.
Et moi, et toi – nous comprendrons.
Nous nous tairons, troublés.

1929

In Sur les rives de Tibériade, © Arfuyen, 2021

Traduit de l’hébreu par Bernard Grasset

Internet

• Wikipédia | Rachel

• Éditions Arfuyen | Rachel

• Wikipédia | Bernard Grasset

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Alain Roussel | Les mots jaillissent des mots…

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Alain Roussel

Les mots jaillissent des mots, du fond de mon esprit, pour se déployer en vagues successives ou qui se chevauchent, parfois se dépassent, emportées par l’élan. Je les écoute. Je les regarde. Je les touche. J’en goûte le sel par le mental. J’en respire en moi-même l’écume. Ce sont des phrases-océans qui me traversent ; en même temps je déferle avec elles, frêle esquif ballotté par tous les courants et dont la voile frissonne au moindre vent. Je repars avec elles par le ressac, regagnant le large, soudain loin des rivages, dérivant peut-être vers des îles oubliées ou encore inconnues, rêveur utopique d’une nouvelle géographie de la pensée. Mais les mots peuvent aussi jaillir des choses. Il arrive que cela commence comme ici, par un regard jeté par la fenêtre. Il y a cette présence, là dehors, qui se révèle à mes sens et qui me renvoie à ma propre présence. Mon être peut s’en trouver illuminé ou obscurci. C’est une sorte de stupeur qui ne va pas sans une certaine ivresse. Je suis dans l’émotion de la perception à l’instant même où elle se produit, avant toute formulation par la parole ou même par la pensée. Certes, les mots se manifestent presque tout de suite. Je vois cette forme ligneuse qui s’élance du sol, s’enroulant sur elle-même en spirale grimpante très resserrée, turgescente, avant de se ramifier en bras disparates qui lèvent et agitent leurs multiples mains ridées en une sorte de clameur frissonnante : je nomme l’arbre, avec son tronc, ses branches, ses feuilles jaunies et le vent qui souffle et qui secoue. Mais la langue du monde n’est pas la parole des hommes. Par les mots, je m’approche, je m’éloigne, je reviens, je tourne autour d’un point innommable qui est dans les choses. Il y a ce que je dis du monde et ce que je ne dis pas, que je ne peux pas dire par incapacité de ma langue. Comment exprimer l’être par le sens ? Comment traduire l’indicible ?

In Un soupçon de présence, © Le Cadran ligné, 2015

Internet

• Wikipédia | Alain Roussel

• Passager clandestin de la pensée, le blog personnel d’Alain Roussel

Contribution de PPierre Kobel     

Un jour, un texte : Frédérique Germanaud | Dans une blessure…

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Frédérique Germanaud

Dans une blessure
Je pose mes lignes

Un linge gris
Sur un tas
De linge gris

Un goût de grenier
Un rai de poussière
Dans le soleil

Puis
Courir vers un buisson de menthe
Y enfouir sa tête
Et pleurer

Photo Véronique Lanycia

 

In Si, par le ciel, © Blancs volants, 2021
avec des photos de Véronique Lanycia

Internet

• Babelio | Frédérique Germanaud

• Site Frédérique Germanaud

• Les photos de Véronique Lanycia

• Éditions blancs volants

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : André Frédérique | Arbre

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

André Frédérique

Arbre

Repos des feuilles
au bout des nerfs et des ailes.

Un sommeil blanc
le désespoir qui arrive en boitant
une de ses dents est morte
une autre danse
une autre est une branche qui dépasse l’arbre
comme un drapeau
sans ombre.

Toutes les dents sont un royaume.

J’ai planté des nids
sourds-muets au pied des arbres
dans la nuit dans la pluie dans le sang
à l’orée de la cave
L’azur sentait le caramel.

In Poésie 1 – Spécial André Frédérique, © le cherche midi, 2002

Internet

• Wikipédia | André Frédérique

• Le boudoir de zigomar | André Frédérique, « oublié avant d’être connu »

Contribution de PPierre Kobel     

Un jour, un texte : Joanne Kyger | Elle approche…

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Joanne Kyger

Elle approche
une longue marche derrière elle
et la bataille de ce qui l’attend aujourd’hui.
La saleté s’étend mollement
sur tout
et cela fait deux jours que le linge sale trempe dans le lavabo.
Je suis si inquiète.
La femme en colère hurle dans la cuisine.

Quand perséphone revient au printemps
il y a une fête
Là-dessous il y a de la mélancolie
et les fantômes de la maison y sont enterrés.
C’est ma maison.
Ils grincent et se ruent à travers la maison les autres deviennent fous
Je dois encore passer la serpillière.
Elle est
rapidement enlevée.
La crevasse qui a englouti les cochons
est à nouveau fermée.
«  Je pensais qu’il y avait eu une grande guerre.
M’avais-tu fait une promesse ? Je lâchai un grognement
depuis les poumons et l’estomac
beuglant ma liberté. »

In Beat attitude – Femmes poètes de la Beat Generation, © Bruno Doucey, 2020
Nouvelle édition augmentée. Traduction par Annalisa Marí Pegrum & Sébastien Gavignet

Internet

• Wikipédia | Joanne Kyger

• Éditions Bruno Doucey

Contribution de PPierre Kobel     

Un jour, un texte : Jean Cayrol | Je cherche à te porter…

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Jean Cayrol

Je cherche à te porter
plus lourde que la terre,
je cherche à te rêver
plus seule que le lierre.

Je cherche à te manger
plus douce que mon pain,
je cherche à te tisser
plus solide que lin.

Je cherche à te coucher
plus chaude que soleil,
je cherche à te presser
plus ivre que la treille.

Je cherche à te blesser
plus vite que l’averse,
je cherche à t’emporter
plus fauve que paresse.

Je cherche à te bercer
plus ou moins dans le vent,
je cherche à te parler
plus ou moins dans ton chant.

Lièvre de mon amour
le temps va faire relève
de ton pas où je cours
plus vite que mon rêve.

In Pour tous les temps, © Seuil, 1955

Internet

• Wikipédia | Jean Cayrol

• La Pierre et le Sel | Jean Cayrol un poète de la transcendance, une contribution de Jean Gédéon

• pile face | Un homme en résistance

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Anne Pion | Si c’était…

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Anne Pion

Si c’était…

Que cherchons-nous avec autant d’obstination ?
Si c’est la lumière,
peut-être la trouverons-nous dans une autre lumière.

Si ce sont les mots,
nous les trouverons au-delà du silence
dans la contradiction.

Si nous cherchons l’amour,
il est au-delà de l’amour même,
dans la solitude.

Si nous voulons exorciser la mort
nous remonterons le fleuve à sa source.

Si c’est le néant,
nous parlerons aux pierres.

In La forme des pierres après le passage du vent, © Voix d’encre, 2005
avec des encres de Fabienne Verdier

Internet

• Wikipédia | Voix d’encre

Contribution de PPierre Kobel    

Un jour, un texte : Patricio Sanchez | Ma valise

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Patricio Sanchez

Ma valise

Ma valise connaît toutes les gares du monde.
Je la nettoie, je l’astique.
Elle est en cuir, en cuir
De Patagonie.

Elle m’accompagne dans tous mes voyages.
Un jour nous étions tous les deux,
Face à une rue de Valparaiso.

Je la reconnais à sa forme, à sa façon
De parcourir tous les chemins.

Elle aura bientôt une année de plus.
De trop.
Je n’en sais rien.

Elle m’accompagne depuis toujours.

Elle porte mes chemises,
Un vieux parapluie rouge,
Un chapeau offert en 1960 par mon oncle Dario.

Elle porte mes crayons et mes carnets de poèmes.
Deux ou trois souvenirs sans importance : un peigne
Et un foulard, et un vieux pyjama
Acheté un matin pluvieux au marché de Prague.

In Le parapluie rouge, © Encres Vives, 2011

Internet

• la rumeur libre | Patricio Sanchez

Contribution de PPierre Kobel     

Un jour, un texte : Isabelle Lévesque | S’il faut croire…

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Isabelle Lévesque

S’il faut croire
nous n’aurions plus qu’un bord, accru,
plus de plaine. La neige aurait ravi
le blanc, rien ne serait dépouillé.
À enfouir, il nous faudrait
affaires cessantes
des mots, des phrases coupées.
Professer désunion syntaxe.
Arrêt. Respirer. Disséquer. Modernité.

Or le jour a pris les flocons.
C’était le champ, sa mise blanche.
Je n’ai pas résisté,
pris l’entier secours, les flocons dispersés.
Pour chanter, j’aurai latitude,
l’immaculé.
L’encre est entrée sous terre,
cachée.
Des mots de paille ont fait le feu,
la terre garde des secrets profond.
Canal frêle pour les mots comme.

Celui qui chante sauvé des eaux
rassemble les voix du soir et dans les heures
a semé pitance rance du passé.

Le chant s’est
dressé contre.

Matin, midi, tout est posé.
Sur le ciel, corde raide.

In Trop l’hiver, © Encres vives, 2011

Internet

• Wikipédia | Isabelle Lévesque

• La Pierre et le Sel | Entretien avec Isabelle Lévesque

Contribution de PPierre Kobel     

Un jour, un texte : Jean-Marie Perret | Un milan plane au-dessus de ma tête…

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne

Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.

Jean-Marie Perret

Un milan plane au-dessus de ma tête
j’ai l’insomnie lourde cette nuit
Je me rattrape aux branches parce que je suis jeune
l’odeur des camphriers est un baume pour le cœur

Déjà le jour filtre sous le rideau lourd
on ne peut pas rêver toujours son enfance
Que feras-tu Gaspard de ta journée
si aucun poète ne te réclame

Si tu ne naquis d’aucun Dieu ni ne tins dans aucun bras
si la paille est lourde et la pierre légère
dans ta main qui déjà se dissout dans la rivière.

In Décharge n°191, © 2021

Internet

• Bleu de paille le blog de Jean-Marie Perret

• Décharge

Contribution de PPierre Kobel