Le
Festival des Voix Vives de Méditerranée en Méditerranée
s'est déroulé pour la quatrième année consécutive dans la ville
de Sète, du 19 au 27 juillet 2013.
Pierre
Kobel et Roselyne Fritel y assistaient pour la troisième fois, ils
se font, ici, un plaisir de vous relater certains des temps forts
partagés par l'un ou l'autre ou les deux.
Nous
sommes lundi
22 juillet 2013,
et tout juste débarqués en milieu d'après-midi, la chaleur est au
rendez-vous. Une brise de mer soulève pourtant le vélum, tendu
au-dessus des chaises longues blanches, dressées en pleine Grande
Rue Haute.
Françoise
Ascal est interrogée à propos de son recueil, Lignées,
illustré
par Gérard Titus-Carmel, paru aux Éditions Æncrages,
en avril 2012. Gérard
Meudal, selon son habitude, a lu l’œuvre dont il va parler et ses
questions sont documentées et pertinentes comme seront directes et
profondes les réponses du poète.
-
Lui :
« Votre poésie est élémentaire, sans vous vexer. »
-
Elle :
« J'en suis très touchée, car « élémentaire »
renvoie aux éléments, ce qui me comble, moi qui suis si
bachelardienne. Je viens d'un silence, celui d'un univers sans
paroles, tout mon travail est un arrachement à ce silence
ancestral. Écrire c'est fait pour respirer, mais sans devenir
amnésique et dans une volonté de loyauté vis-à-vis des
générations précédentes et un désir de rendre la poésie
lisible, sans élitisme, sans partir dans une écriture, qui se
sépare du lieu commun à vivre ensemble. »
Une heure
plus tard, dans la cour privée de la rue de La Place du Génie,
c'est Marie-Claire Bancquart, qui répond à son tour aux questions
de Catherine Pont-Humbert.
Sète
étant bâtie sur des collines, il faut courir d'un lieu à l'autre,
selon ses choix, trouver un siège à l'ombre si possible, s'asseoir
et ouvrir son cahier de notes et prendre l'échange au vol. Cette
démarche aiguise l'intérêt et la passion, tout au long des
journées. La qualité des intervenants comble, dans l'instant.
-
C.Pont-Humbert :
« Les lieux ont-ils une incidence sur votre écriture ? »
-
M-C
Bancquart : « Oui, surtout chez moi, qui vois des
choses que d'autres ne voient pas. Les faucons sur Notre Dame, les
abeilles sur les toits de l'Opéra. J'aime Paris, ses laideurs, ses
splendeurs. La vision des ex-égouts de Louis XIV dans le 19e,
les dessous des ponts de la Seine avec leurs scolopendres qui
pendent. Le Paris clandestin, les restes de cimetières protestants
dans le 6e,
un reste de fortifications de Paris dans un garage de voiture. J'ai
écrit un Essai sur les tours, en terminant sur la tour Saint
Jacques, construite par un magicien, en quête de la pierre
philosophale, Nicolas Flamel.
Marie-Claire
Bancquart, que nous retrouverons à d'autres reprises durant la
semaine avec Alain son mari, à la présence attentionnée et
complice, fait partie des invités d'honneur de cette année. Avec
une élégance et un respect du public, elle aura soin de lire des
parts différentes de son œuvre remarquable à chacune de ses
interventions.
Le
mardi 23
à
midi, lecture apéritive Grande Rue Haute.
Bruno Doucey y a convié un
poète grec Tassos Galatis, né dans les îles ioniques, professeur
de grec ancien et moderne, qui a enseigné en Égypte et en Grèce,
et un autre poète croate Sladan Lipovec, Européen dans l'âme,
rédacteur en chef de la Revue Collège, accompagnés par un
musicien marocain, Mohammed Zeftari, qui improvise sur son luth.
Mélange
des voix poétiques et musicales, brassage des cultures, toutes
générations confondues, éphémère fraternité.
Enfin, les
Grecs, présents dans le public, se mettent à danser sur un sirtaki,
né sous les doigts du musicien marocain. (photos)
À 15 h,
rencontre italienne très originale, rue des Trois Journées. Carlo
Bordini un monsieur grisonnant à l'apparence sévère d'ancien
professeur d'histoire, qui se révèle débordant d'un humour
sarcastique, tandis que Claudio Pozzani son compatriote, plus jeune,
possède, outre le fait d'écrire avec esprit de la poésie, un
talent de performeur et un coffre aux sonorités infinies, dont il
donnera un échantillon mémorable en répétant le mot ombra
en écho.
Interrogé
sur la place du poète dans la cité moderne qu'est Rome, Carlo
Bordini répond sans piper : « Moi, c'est très
simple, je vis au 3e
étage
et c'est ma place. » Claudio Pozzani renchérit : « Moi
je suis au 1er
mais
à Bologne, lui est au 3e
étage,
mais à Rome ! »
Reprise
également pour l'un d'entre nous, dès
15h sur la Place du Pouffre, sur le thème : « être éditeur
de poésie », une séquence animée avec
chaleur et compétence par Michel Baglin. Il
reçoit conjointement ce jour-là Alain
Gorius pour les éditions Al
Manar et Bruno Doucey pour les éditions qui portent son nom.
Ambiance enjouée avec deux partenaires importants de ce festival
puisque Alain Gorius édite à cette occasion cinq des poètes
invités et Bruno Doucey édite l'Anthologie de l'année qui regroupe
des textes de l'ensemble des poètes. Ils sont deux exemples
emblématiques de ce que la poésie a de vivant et d'une volonté
affirmée qu'elle retrouve un public. Si leurs choix éditoriaux ne
sont pas les mêmes, certains de leurs auteurs sont communs aux deux.
De
17 à 18h, c'est une rencontre avec Yves Namur, poète belge né à
Namur, reçu Grande Rue Haute, par Gérard Meudal. Avec charme et
humour, le poète distille les aspects de son écriture et les
rapports qu'il entretient avec elle. Yves Namur a été un poète
trop précoce selon ses dires. Il a eu la chance d'être mis en
contact par son instituteur, dès l'âge de 9 ans, avec des peintres
et des écrivains comme Soulages et Claude Seignolle. Poète,
fondateur et responsable des éditions Le
Taillis Pré, Yves
Namur exerce également, à plein temps, une carrière de médecin.
Sous le dehors d'une affabilité sympathique et tout en laissant
deviner le bon vivant qu'il sait être, il laisse percevoir les
interrogations, les fragilités qui nourrissent une œuvre de
profonde réflexion en recherche de l'envers du miroir.
Il
évoque aussi
un
livre un peu particulier, paru chez PHI, La
petite cuisine bleue.
J'aime
emprunter un chemin de traverse, dit-il, je suis gourmand et gourmet,
j'aime le vin, la cuisine.J'ai fait partie d'une académie
de
cuisine, qui n'existe plus, qui invitait des membres intéressés par
les arts à goûter des mets
choisis et à écrire dessus. J'ai
mangé tous les plats à propos desquels j'ai
écrit ! »
La journée
de poésie se terminera sur les quais à écouter Bruno Doucey et la
poète albanaise Luljeta Lleshanaku lire leurs textes dans
l'accompagnement inventif et sensible du violon de Delphine Chomel.
On
n'écrira jamais assez combien la présence des musiciens qui
interviennent durant les diverses séquences du festival est un
apport positif. Ponctuant les lectures par des intermèdes qui sont
autant de respirations, accompagnant les poètes par des
improvisations légères et attentives, ils donnent une couleur
chaleureuse et nuancée aux mots.
Mercredi
24,
dix heures du matin, c'est la chance de partir durant trois heures,
« toutes voiles dehors », en mer, à bord du voilier Le
laisse dire, où
une belle inconnue, colombienne, Angela García, doit dire ses poèmes
au large, devant
un
petit groupe de passionnés de mer et de poésie.
Certes, il
fait un soleil de plomb une fois les voiles affalées et le bateau
encalminé au large, mais s'il faut mourir autant que ce soit en
poésie !
D'ailleurs,
la voix d'Angela, ardente et engagée, subjugue son public. Son
accompagnatrice, comédienne, reprend en français ce qu'elle a dit
en espagnol. Il s'ensuit
un
échange intense et chaleureux.
Pendant
ce temps, Jeanine Gdalia présente une lecture qui réunit Tassos
Galatis et Marie-Claire Bancquart avec l'accompagnement musical de
Héloïse Dautry à la harpe. Réunion propice quand on connaît
l'attachement de Marie-Claire Bancquart à la culture grecque
classique et à entendre la place centrale qu'elle occupe dans les
textes de Tassos Galatis qui sait tresser subtilement des liens entre
elle et la contemporanéité.
À 15 h sur la scène de la
Placette (on retiendra cette appellation plutôt que celle de place
du Pouffre, ainsi nommée du fait de la présence d'une difforme
statue de poulpe. Nous nous souvenons encore de l'indignation réelle
et goguenarde de Yves Rouquette, en 2012, quand il dénonçait cette
nouvelle identité de la Placette où il est né et qui restera
Placette pour tous les Sétois attachés à leur ville), Michel
Baglin invite Christophe Corp, directeur de la revue Souffles
à présenter le dernier numéro D'un souffle à l'autre en
complicité de la publication de l'ouvrage que Kenza Sefrioui a
consacré à l'histoire de la revue Souffles fondée par
Abdellatif Lâabi et parue au Maroc de 1966 à 1973. Par cette
association des deux revues, Christophe Corp exprime un devoir de
mémoire pour une parole insoumise des deux côtés de la
Méditerranée et veut affirmer un engagement politique de
l'écriture. Il a demandé que soit présents d'une part le maire de
Grabels qui vient dire son souci d'engager une action pour préserver
la Tuilerie de Massane où vécurent durant des décennies le
merveilleux Joseph Delteil et son épouse Caroline Dudley, d'autre
part le père de Catherine Boudet, jeune femme assignée à
résidence pour ses écrits dénonciateurs, sur l'île Maurice, par
un régime qui n'a de démocratique que le nom. La comédienne
Catherine Jarrett lit un de ses textes.
Reprise entre 16h et 17h ,
Un poète et son traducteur,
avec Aurélia Lassaque interrogée par Kolja Micevic. Venue
à la langue occitane sous l'égide de son père, elle a
la particularité, d'écrire simultanément, sur deux feuilles de
papier, placées côte à
côte, en français et en
occitan, sans pouvoir dire ensuite quelle langue
est l'original . Non qu'elle se traduise
simultanément, mais parce qu'elle écrit simultanément dans l'une
et l'autre langue.
À 18 h,
le même jour, tout en haut de la ville sur le parvis du lycée Paul
Valéry, rencontre avec deux autres inconnus, une Française,
Bernadette Engel- Roux et Issa Makhlouf, poète libanais, pour une
lecture en écho. L'un rebondissant de façon impromptue sur la
lecture de l'autre.
Sortant
de la prestation avec Aurélia Lassaque en courant, et vu les lieux
haut perchés où nous nous rendons dans la foulée, nous arrivons en
retard ; l'heure suivante en est très écourtée, mais la bonté
du regard, la sensibilité et l'ouverture d'esprit d'Issa sont
flagrantes, tandis que les nuances de l'écriture de Bernadette, et
l'émotion qui s'en dégage vont droit au cœur malgré ses
difficultés à jouer le jeu des échanges aussi spontanément que
son partenaire.
Surprise
et cerise sur le gâteau, en fin de lecture, Roula Safar,
mezzo-soprano et musicienne, présente dans l'assistance, avec sa
fille, chanteuse, et son fils, qui accepte de l'accompagner au
tambourin, improvisent un récital de chants et guitare sur ce parvis
de lycée.
Jeudi
25,
à 11h, rendez-vous, à l'occasion d'un apéritif musical, avec
Bernadette Engel-Roux – afin d'en savoir davantage –, Georges
Drano, poète, qui la présente et le guitariste de flamenco,
Salvador Paterna.
Bernadette,
dont on voudrait qu'une émotion inutile ne vienne pas amoindrir les
qualités de son écriture, lit de nombreux autres textes, tous de
qualité et d'une poésie au demeurant très belle, que nous avons le
projet de présenter
sur La
Pierre et le Sel.
Écriture, dont elle dit : « je suis du côté de ceux qui
acquiescent tout en n'ignorant rien de la douleur du monde, comme
Philippe Jaccottet. Ma préférence va aux poètes de l'éloge et de
la célébration. »
Auparavant
dans la Grande Rue Haute, une lecture performance a réuni Claude
Ber, Claudio Pozzani et Frédérique Wolf-Michaux. Lecture et
performance généreuse de la part des trois acteurs qui, chacun à
leur tour, mais dans le tissage collectif de cette heure, expriment
la force et le mordant des mots dans la recherche de l'emportement.
À 12 h se
tient la lecture musicale apéritive animée par Bruno Doucey qui
reçoit ce jeudi Marie-Claire Bancquart, le Serbe Aleksandar Petrov,
accompagnés par Roula Safar. Chaque jour, à cette heure, c'est
Bruno qui sait introduire avec la chaleur et la connaissance des
poètes qui sont les siennes, ses invités.
Il est amusant d'observer,
là comme dans toutes les animations, le comportement des uns et des
autres, la désinvolture affichée de certains, l'attention inquiète
d'autres, l'autorité de celui-là, l'extrême générosité de
celle-ci, la mise en avant d'un troisième quand le syndrome « victor
ego » qui frappe parfois les poètes refait surface. Mais nous
retiendrons de cette semaine, comme ce fut le cas pour nos deux
venues précédentes, la disponibilité de la plupart d'entre eux, la
grande simplicité des contacts avec les
festivaliers curieux de leur poser des questions ou de leur dire les
joies qu'ils éprouvent à les lire et les entendre enfin.
La
nouvelle lecture d'Angela Garcia, à 15 heures, intitulée Sieste
par sons et par mots,
se
déroule dans un lieu absolument étouffant, entre trois hauts murs,
qui coupent le moindre souffle d'air et réfléchissent la chaleur
accumulée par un soleil mordant, mais la qualité des artistes, dont
le musicien, Pascal Delalée,
qui
improvise au violon sur les textes d'Angela, installe un climat
exceptionnel, qui force l'éveil, l'attention et l'enthousiasme et
non la sieste.
L'un et
l'autre s'écoutent et se renvoient la balle avec une émotion
palpable , que partage le public. À la fin du récital, Angela dira
de façon touchante au musicien : « je voudrais
t'adopter ! »
À
l'occasion de cette rencontre, s'exprimant parfaitement en français,
Angela confie ceci : « Chaque visage cache un drame, je
l'ai constaté ici avec des poètes de Palestine, du Liban, de Syrie.
Il en est de même de mon pays. Vous, en Europe, vous ressentez ce
drame cérébralement, nous autres le vivons dans la chair. »
Quelques
jours plus tard, à l'occasion d'une autre présentation de son
écriture, Angela dira : « il y a entre les poètes
une communication souterraine, une connaissance d'une humanité nue
et une richesse des atmosphères intérieures, marquées par la
religion de chacun, où l'on cherche la trace de l'essentiel et se
regarde de façon plus naturelle. » Je doute que toutes les
nuances de ces propos adressés à deux autres poètes, originaires
du sultanat d'Oman, présentés en même temps qu'elle, aient été
correctement transcrites, quand on connaît la présentatrice du
jour, Catherine Farhi, dont
il est dommageable qu'elle
n'assure
pas une animation de qualité et conduise tant par des réflexions à
l'invité qu'au public, que par son comportement désinvolte, à
dévaluer les séquences qu'elle dirige.
Nous
retrouvons à 17 heures, Grande Rue Haute, Gérard Meudal et Georges
Drano, pour une rencontre amicale et riche sur le thème d'Un
poète, un livre .
Le très modeste Georges
Drano se livre peu à peu et parle des combats menés pour sauver des
zones rurales menacées, où s'est déroulée sa carrière
d'enseignant. Il évoque aussi, à l'invitation de Georges Meudal,
son entrée en poésie, dont il dit : « on n'apprend
pas à écrire de la poésie et pas plus dans les ateliers
d'écriture. On apprend ou on vient à la poésie en écoutant ou se
nourrissant de la poésie des autres. Les autres étant des lanceurs
en quelque sorte. »
Convié
par G.Meudal,
il
raconte ses autres engagements politiques et écologiques quand il
s'agissait de défendre les marais salants de Guérande, humanitaires
et lointains, au Burkina-Faso en particulier. Sa poésie, si
simplement humaine et engagée, fera l'objet d'un article sur ce
blogue.
Une
seconde rencontre avec Yves Namur suit.
Catherine Pont-Humbert, qui l'interroge, lui demande: « où
se glisse dans vos heures le temps de la poésie ? »
Question
à laquelle il répond : « le temps de la poésie sur le
cahier aquarelle importe peu. Je sais de quoi sera fait, sans écrire,
un livre prochain. Le temps qui reste est resté à l'écoute de
l'autre par mon métier. Beaucoup de livres sont sur le
questionnement et le doute, tel que doit-être le médecin,
un homme qui doute. Ce
qui importe c'est d'aller à l'intérieur des choses, quête
essentielle et inachevée »
Plus
tard, interrogé sur sa ligne éditoriale, au Taillis
Pré, il
répond : je n'en ai pas, c'est « une levée de cœur »,
je publie des choses différentes de mon écriture. Je ne suis pas
éditeur à temps plein et ne prétends pas faire correctement mon
travail d'éditeur ; je me permets de publier tout ce que je
trouve beau.
Le
lendemain, vendredi
26 juillet,
à 12h, rue des Trois Journées - il est vrai que nos journées sont
parfois triples ou quadruples -, l'italien Carlo Bordini, déjà
rencontré, lit en alternance avec Bernadette Engel-Roux, accompagnés
d'improvisations vocales de Frédérique Wolf-Michaux. Il s'ensuit un
étonnant moment, le registre de cette chanteuse et musicienne lui
permettant de passer de l'aigu au grave et d'émettre des sons
sauvages et inattendus, traduisant parfaitement son ressenti
poétique.
Le
même jour, à 16 heures, sur le parvis de l'église Saint Louis,
deux poètes espagnols, Alicia Martinez et Noni Benegas, lors d'une
rencontre intitulée Poète
en son pays,
vont tenter de répondre à leur manière à la question : Que
signifie être poète aujourd'hui en Espagne ?
L'une
semble plus âgée et plus pondérée que l'autre, mais toutes deux
sont très véhémentes et engagées. Alicia, poète et comédienne,
créatrice d'un festival de poésie à Valence, se produit dans des
tournois de slam et va représenter Les
Voix Vives à
Tolède, en septembre prochain.
Georges
Drano les interroge sur leur ressenti de la crise économique en
Espagne, en tant que poètes.
Noni
Benegas, qui s'exprime parfaitement en français, répond que leur
passion peut se passer de subventions, les vraies passions
s'exprimant sans subventions. Alicia dit qu'on utilise la crise pour
saper des manifestations culturelles et les supprimer ; mais
qu'il est difficile de corseter la culture, elle s'échappe comme la
force qui vient d'en bas. La chair fait craquer les lacets du corset.
Noni
précise que l'Espagne est en pleine explosion culturelle. L'âge
moyen des
poètes est plus bas qu'en France. Beaucoup de jeunes, nés en
démocratie, se manifestent. L'une comme l'autre manient à la
perfection un humour noir et mordant vis-à-vis du régime en place.
Alicia ne s'embarrasse ni de sentiments ni de formes, fait remarquer
leur interlocuteur, Georges Drano, ce à quoi Alicia répond :
« j'ai une poésie très sentimentale. La poésie doit
accompagner les gens, la présence constante de l'artiste, qui reste
au contact, a pour rôle de rendre visible ce qu'il voit en essayant
de les comprendre. Je pense que la poésie peut être une arme qui
peut changer le monde. » Noni de son côté ajoute : «
je suis plus vieille et je continue à célébrer. On voit que les
choses se répètent et qu'on commet toujours les mêmes erreurs
historiques. On choisit les strates les plus cruelles et on y
découvre notre stupidité. » Elle lit alors Los
stratos, qui
débute par : « ce
n'est pas que tu écrives toujours la même chose... »
L'entretien
est original et passionnant. L'une, Noni, a vécu en Amérique Latine
et possède la
double
nationalité, elle a été traduite chez Al Manar, les recueils
d'Alicia par contre
ne
se trouvent encore qu'en espagnol. Deux poètes à ne pas manquer de
suivre.
Juste
après, ce même jour, un hommage est rendu à Maria Mercè Marçal,
traduite et publiée, ce printemps, par les éditions Bruno Doucey,
dans un recueil intitulé Trois
fois rebelle,
qui a fait l'objet d'un précédent article sur La
Pierre et le Sel.
Aurélia Lassaque lit le texte en catalan, Bruno Doucey la version
française, Jean-Luc Pouliquen est chargé de les interroger. Le lieu
où se déroule cette rencontre est le plus beau de tous, il s'agit
d'une terrasse panoramique ouvrant sur l'entrée du port et la
Méditerranée et vaut à lui seul le détour. Il a d'ailleurs fait
la couverture du programme du festival, cette année.
À la même
heure, carte blanche Musique a capriccio
est laissée à Frédérique Wolf-Michaud qui, après
une présentation enthousiaste de Claude Ber, exprime toute la
palette de ses talents vocaux du parlé au chanté, dans un
répertoire aux multiples sources et par des improvisations déjà
évoquées plus haut
C'est
ensuite le temps de rejoindre l'abri du grand charme du jardin du
Château d'eau où lisent Françoise Ascal et la poète d'Arabie
Saoudite, Huda Aldaghfag. C'est un plaisir et une satisfaction que
d'entendre cette dernière exprimer dans ses textes la condition des
femmes dans sa culture et les revendications qui sont les leurs.
La journée
se termine dans le bas du jardin du Château d'eau avec un spectacle
poétique ouvert à tous en hommage à Pablo Neruda, décédé il y
aura quarante ans, en septembre.
Samedi
27 juillet,
dernier jour du festival. La lecture musicale apéritive, dans la
Grande Rue Haute, nous réunit une dernière fois autour des invités,
deux
Français,
Françoise Ascal et
Jean Poncet,
et
de l'Égyptien
Mohab Nasr, accompagnés au luth par le Marocain
Khalid Badaoui, et présentés par Bruno Doucey. Ces rencontres
quotidiennes furent
particulièrement
ouvertes,
cosmopolites
et conviviales.
Tandis
que tu joues
Quel petit dieu musicien
Nous observe
À
travers
Les trois yeux de ton luth
Ces moucharabiehs de miel
Maintenant
je le sais
Il s'agit d'un dieu-chanteur
Dont nous
reprenons
Joyeusement le refrain
En chœur
Roselyne écrira ce petit
texte pendant cette présentation, fascinée qu'elle était par le
jeu du musicien sur son luth. Cette
dernière lecture apéritive donne l'occasion à Bruno Doucey de dire
combien l’œuvre de Françoise Ascal relève d'une haute exigence
esthétique et devient importante bien qu'elle se construise dans la
discrétion. Jean Poncet lit des séries de ses propres textes et a
la générosité de lire quelques textes d'autres auteurs, geste
d'autant plus remarquable que rare.
La rencontre suivante, à
15h, a lieu sur la Placette, animée comme chaque jour par Michel
Baglin, qui reçoit Andréa et Dominique Iacovella, créateurs des
éditions La Rumeur Libre,
qui ont publié l’œuvre complète de Patrick Laupin, qui sera
bientôt présenté sur le blogue. Cette maison d'édition n'a
d'autre ambition, affirment ses créateurs que de donner à lire des
auteurs qu'ils aiment et dont ils ne veulent pas qu'ils soient
oubliés. Très petite structure, à l'instar de beaucoup d'autres
dans le domaine de l'édition poétique, elle est l’œuvre de
passionnés. Dominique y a mis son expérience professionnelle,
Andrea, qui dirige durant la semaine une grande école d'ingénieurs
en informatique à Paris, retrouve sa casquette d'éditeur et
d'auteur le week-end. Il sépare les deux activités s'interrogeant
cependant quand l'art devient virtuel dans le numérique. Mais c'est
la poétique du matériau dématérialisé qui l'intéresse.
Une
dernière rencontre avec Angela Garcia a lieu à 16h, suivie, dès
17h sur la Placette, d'une présentation des éditions du Tanka
francophone dirigées par Patrick
Simon, suivie
d'une table ronde sur le thème du haïku, du tanka et du haîbum,
formes d'écriture qui
ont le vent en poupe et rencontrent de plus en plus
d'adeptes.
Y
participent, outre Patrick Simon, Martine Gonfalone-Modigliani et
Françoise Lonquéty, qui donnera lecture du dernier recueil de
Valérie Rivoallon,
J'haïkuse
et des Haïkus
Marins de
Danièle Duteil.
Comme
Françoise Lonquety, Valérie
fréquente
assidûment,
à Paris, les
rencontres mensuelles
animées
par Daniel Py autour
du haïku,
qui
ont fait l'objet d'un article
sur ce blogue.
Pendant
ce temps, c'est toute la finesse et l'amplitude du jeu de la harpe
qu'exprime Héloïse Dautry durant une heure en compagnie d'un de ses
amis à la guitare. De nouveau un Musique
a capriccio qui
offre des chants anciens comme les chansons de Nougaro ou le Jardin
d'hiver de
Henri Salvador.
Il
faut enchaîner, en courant, pour assister à
Pleins Feux sur… Carlo
Bordini, présenté à 18h par Catherine Pont-Humbert, dans les
jardins privés de la rue du Génie. C'est une deuxième rencontre,
hélas écourtée par la distance, mais l'humour et la modestie de ce
poète, peu traduit en France, sont intacts.
Est-il
besoin de préciser que nous repartons de Sète et de son festival
avec une valise de nouveaux recueils poétiques !
Il reste à
assister à 21 h 30 à la soirée de clôture du festival, qui réunit
encore nombre d'artistes et poètes présents.
Le
rythme intense de ces journées, vécues avec passion et au contact
de nombre de poètes, nous vaut un profond sentiment de nostalgie au
moment de boucler nos bagages, mais
c'est là que se nourrit la passion pour les textes que nous lirons
ensuite, que se précisent à la fois les limites de cet univers et
la nécessité de reconduire la poésie dans la société tout
entière.
Internet
Contribution
de Roselyne
Fritel et PPierre Kobel