Gérald Bloncourt est connu comme photographe et peintre. Depuis qu’il a quitté son île natale d’Haïti, exilé comme tant d’autres par la dictature, il n’a jamais cessé de témoigner de ses convictions politiques et de ses engagements sociaux. En 2008 c’est le poète qu’il est aussi qui fit paraître le recueil Dialogue au bout des vagues aux éditions Mémoire d’encrier. Des textes qui ont été écrit à partir du désastre qui règne à Haïti et du manque de son pays. Des textes qui disent aussi avec la force d’une langue dense et métaphorique, l’espoir auquel Gérald Bloncourt n’a jamais renoncé.
Je suis goémon vert…
Je suis goémon vert aux pulsations d’écume zéphyr caressant courant sur l’océan je suis mouette glissant au détour de ta vague je suis galet roulant sur ta plage de sable je suis ta senteur d’iode et marée de ta voix je suis ce que tu es nous sommes tout ce qu’ils sont un ressac d’espoir aux algues de demain et nos mains solidaires parfumées d’Atlantique s’étreignent.
Port-au-Prince, octobre 1987.
In Dialogue au bout des vagues, Mémoire d’encrier, 2008, p.21
****
Cette grande orgie symbolique du nettoyage
C'était une fin de semaine de l’après-déchoukage. Les jeunes ont décidé de nettoyer Port-au-Prince. On louait des balais, on en empruntait, on en fabriquait. Tout le monde s’y était mis. C’était notre façon à nous d’exorciser le mal.
Tu sais, mon amour, il y avait ce jour-là tous nos songes arrachés à la faiblesse des dieux, ces images démesurément grossies dans ma ville éclatée, la poésie interminable du vécu de nos consciences ce samedi matin. Il y avait ce remue-ménage, cette gestation incroyable, folle, gigantesque, incontrôlée, incontrôlable, qui couvrait les trottoirs, les carrefours, les égouts, les corridors, les rues, les galeries.
Il fallait refaire la ville, la mettre à jour, la mettre à neuf, la parer de sa liberté retrouvée.
Et Port-au-Prince s’engrossait de fleurs et de couleurs, et Port-au- Prince bruissait de sourires, de voix, d’accolades fraternelles, de balais joyeusement empoignés pour cette grande orgie symbolique du nettoyage. Le nettoyage de trente années de dénis, le nettoyage de trente années de dégradation, le nettoyage de trente années d’inhumanité, le nettoyage de trente années de douleurs estropiées.
Et Port-au-Prince bruissait de balais fébrilement empoignés, pour enlever la boue, pour enlever la haine, pour enlever la pourriture accumulée.
Je te donne aujourd’hui cette toile d’amour que nous avons tissée et retissée dans notre ville émergente. Je te donne ses formes incantatoires, son parler haïtien haut, haché et saccadé. Je te donne ses hanches voluptueuses, dans la tourmente de son premier coït. Je te donne sa gorge nue, chaude, offerte, offrande-saline à tes mains étonnées. Je te donne cette ville d'eau vive, cette ville impériale, cette ville dressée un jour contre la tyrannie et l’injustice, avec ses sortilèges, ses bòkòr*, ses croyances multiples et inébranlables.
Je te donne toutes les folies, toutes les colères, tous les droits et tous les privilèges que nous aurons amassés.
Paris, mai 1988.
In Dialogue au bout des vagues, Mémoire d’encrier, 2008, p.47
* Bòkòr ou hougan, prêtre du vaudou
Internet
Contribution de PPierre Kobel