« Chez moi, tout part d’un secret : le secret de la poésie. Ce secret, je le garde jalousement, mais j’essaie de transmettre tout ce qui est autour. Le centre de ma vie, c’est la poésie. La poésie ne se réduit pas aux poèmes écrits sur le papier, ou imprimés noir sur blanc. Elle anime toutes les activités de la vie. La poésie doit irradier à partir d’un centre, et ce centre c’est mon secret ».
Et de fait, l’œuvre poétique de Max-Pol Fouchet (1913 – 1980) est fort réduite. A part trois plaquettes intitulées Simples sans vertu (1937), Vent profond (1938), et Les Limites de l’amour (1942), toutes les trois épuisées, son œuvre se résume à un seul livre Demeure le secret (1961). L’état permanent de poésie dans lequel il vit est une sorte de feu intérieur qui l’envahit et le consume, le poème n’étant que la trace de cette poésie vécue, comme la braise est ce qui reste de ce que la flamme a consumé. Le poème est également la braise à laquelle d’autres pourront venir allumer leur feu. Mais sa rareté est voulue, afin que « demeure le secret ».
Pour que demeure le secret
Nous tairons jusqu’au silence
Nul oiseau n’est coupable
Du tumulte de nos cœurs
La nuit n’est responsable
De nos jours au fil de mort
Il n’est que grande innocence
Et des colonnes en marche
Mais les plaines soulignent
Notre solitude de leur blé
Cette solitude Max-Pol Fouchet propose de l’émerveiller, « de la peupler de hautes images, que sont l’art, la poésie, la musique et, si l’on veut, l’amour ». C’est dans le silence et le secret de cette solitude qu’il va puiser aux sources de l’art et de la poésie afin d’émerveiller sa vie, en la peuplant de beauté. Puis l’homme de communication qu’il fut, à travers la radio et surtout la télévision, aura à cœur de transmettre ce qu’il a engrangé.
Né en 1913 dans le Cotentin, Max-Pol émigre à Alger, où sa famille vient s’établir en 1923, son père armateur, blessé et gazé en 1914, ayant dû changer de climat. A 16 ans, à la mort de son père, il s’engage en politique et fonde la Fédération des Jeunesses socialistes d’Algérie. A la faculté de Lettres il rencontre Albert Camus, dont il devient l’ami. Désireux de connaître la condition ouvrière, le voilà peintre en bâtiment, mousse sur un cargo, surveillant d’école. Devenu tuberculeux, il part en sanatorium dans les Alpes, où il rencontre Emmanuel Mounier, fondateur de la revue Esprit. Une rencontre décisive pour Max-Pol, qui s’efforcera désormais de concilier socialisme et mysticisme.
De retour à Alger en 1936, il devient conservateur-adjoint au Musée National des Beaux-Arts. Ayant publié son premier recueil de poèmes Simples sans vertu, il fréquente la librairie « Les Vraies Richesses », fondée par Edmond Charlot, où se réunissent les jeunes écrivains d’alors, notamment Camus. Dans l’enthousiasme du Front Populaire les Jeunesses Socialistes, réunissant Musulmans et Européens, défilent dans les rues d’Alger. Max-Pol est à leur tête, avec Jeanne Ghirardi, professeur de français, une jeune Corse passionnée, sa compagne et bientôt sa femme. Mais peu après, il quitte le parti socialiste, Léon Blum ayant refusé d’intervenir dans le conflit de la guerre d’Espagne. En 1937, il part pour la Grèce s’initier à l’archéologie avec l’École Française d’Athènes. Puis rejoint Paris en 1938, avec Jeanne, pour y terminer sa licence es-lettres et sa maîtrise. Il y publie Vent profond, son second recueil de poèmes. En 1939, tout en préparant l’agrégation d’histoire à Alger, il enseigne à la Médersa, l’université franco-indigène, qui forme les intellectuels musulmans à des postes de responsabilité dans l’administration.
Se voyant confier la publication d’une toute nouvelle revue de poésie Mithra, dirigée par Charles Autrand, dès le n° 3 Max-Pol Fouchet la rebaptise Fontaine, en hommage à Nietzsche, qui fait dire à Zarathoustra : « Mon âme est une fontaine jaillissante ». Cette modeste revue, publiée par Edmond Charlot et financée par Max-Pol, verra en six ans son tirage passer de 300 à 15 000 exemplaires ! Alors qu’il aurait voulu rejoindre l’Angleterre en juin 1940, il choisit de rester à Alger, près de sa femme. C’est là qu’il entre en résistance, avec pour arme la poésie et pour instrument de guerre sa revue. Comme en témoigne son éditorial du n° 10, daté de juillet 1940 « Nous ne sommes pas vaincus ! », en réaction contre le défaitisme ambiant et pour défendre les intellectuels, que Vichy rend responsables du désastre. «… Nous ne sommes vaincus qu’au militaire. Mais au spirituel nous sommes toujours victorieux…Les victoires ou les défaites des peuples se mesurent à la seule échelle des civilisations ». Par chance ce numéro ne fut interdit par la censure qu’après sa parution.
Désormais il ne reste plus que trois revues pour défendre l’honneur des lettres françaises. Deux clandestines, en France occupée, Poètes casqués, dirigée par Pierre Seghers et les Cahiers de Rochefort (cf L’Ecole de Rochefort, présentée dans La Pierre et le Sel du 14/11/2011). La troisième officielle, à Alger, dirigée par Max-Pol Fouchet, qui souhaite agir en pleine lumière. La revue Fontaine ne parle que de poésie, pour échapper à la censure, mais tout y est à double sens. Elle regroupe les plus grands poètes d’alors : Eluard, Aragon, Pierre Emmanuel, Saint-John Perse, Henri Michaux, René Char, Jouve, Supervielle… Depuis Limoges, Georges-Emmanuel Clancier recueille les poèmes, qu’il envoie à Genève à Albert Béguin, lequel les adresse à Tanger à Georges Blin, qui à son tour les expédie à Alger. En avril 1942, Max-Pol publie un n° spécial de 288 pages, intitulé De la poésie comme exercice spirituel, qui est d’une telle richesse, qu’il sera réédité en 1978. Dans ce numéro, il dévoile la très haute idée qu’il se fait de la poésie. En 1942 il publie un nouveau recueil Les limites de l’amour, dans lequel se trouvent des poèmes prémonitoires, annonçant la tragédie de la perte de sa femme, disparue récemment dans le naufrage du paquebot Lamoricière.
Il suffit d’un baiser
Pour apprendre l’amour
Et d’un cil abaissé
Pour connaître la nuit
Il suffit d’un mort
Pour savoir en secret
Les machines de l’oubli
Les pièges du souvenir
Et de sable mouillé
Pour à jamais découvrir
Les industries de la mer
À effacer les pas
Après la mort de Jeanne, il s’engage davantage dans la résistance, en liaison avec la France occupée. Après la libération d’Alger par les alliés, fin 1942, Fontaine devient le lieu de rencontre de l’élite intellectuelle du monde libre en Afrique du Nord. Au printemps 1943 il diffuse depuis Alger Lumière de France, une émission radiophonique bihebdomadaire de poésie et d’actualité littéraire. Puis il profite de son passage à Londres au cours de l’été 1943 pour s’adresser, depuis la B.B.C., aux intellectuels de la France occupée et pour réaliser une édition miniature des principaux textes de la revue Fontaine, qui prendra place dans les containers que la R.A.F. parachute dans les maquis, avec les médicaments, les armes et les explosifs. Au sens propre, la poésie est reconnue comme une arme de combat.
En juin 1944 la plupart des textes de la revue sont alors réunis dans La France au cœur. Puis il monte à Paris, étant nommé au Conseil directeur du Comité National des Ecrivains, où il représente la Résistance en Afrique du Nord. Au printemps 1945 la revue Fontaine reçoit les renforts de Nicole Védrès, Pierre Desgraupes et Pierre Dumayet. Mais mal gérée, malgré son fort tirage, la revue publie son dernier numéro (n° 63) en janvier 1948. Max-Pol part aux Etats-Unis pour une série de conférences dans les Universités. Désormais sa vie sera partagée entre Paris et l’étranger.
Durant près de 5 ans, voyageur infatigable, il parcourt le monde, soucieux de faire connaître à ses contemporains les peuples et les civilisations. À l’Afrique Noire, dont le mode de vie communautaire l’enchante, il consacre un ouvrage Les Peuples Nus (1953). Aves Terres indiennes (1955) il nous livre son amour du Mexique. Sa passion pour la sculpture érotique de l’Inde donne naissance à L’Art amoureux des Indes (1957). Chacun de ses livres est illustré des photos qu’il a prises, dans une synthèse harmonieuse entre textes et photos, comme dans son livre Portugal des voiles (1959).
Mais dans la mémoire des Français Max-Pol Fouchet est surtout l’homme de la télévision, avec Lectures pour tous (1953 – 1968), Le fil de la vie (1954 – 1958), Terre des Arts (1959 – 1971), Italiques (1971 – 1974), Les Impressionnistes (1974 – 1975). Toujours en direct, sans lire ses notes, avec clarté et enthousiasme, de sa voix généreuse, chaque semaine il touche au cœur un vaste public. Ainsi pour toute une génération Lectures pour tous restera l’un des sommets de la vie culturelle française d’avant mai 1968. Toutefois sa liberté de ton dérange de plus en plus le pouvoir, qui n’apprécie guère ses prises de position contre la peine de mort ou la torture en Algérie. Récusant toute forme de censure, il saborde lui-même Le fil de la vie en mai 1958, pour garder intacte sa liberté d’expression. Il obtient le Grand Prix de la Critique pour son œuvre télévisée à deux reprises, en 1960 et en 1974. Mais avec la disparition du direct, la télévision ayant perdu à ses yeux son pouvoir magique, il préfère s’en éloigner.
Également passionné de grande musique, de 1968 à 1970, avec Le journal musical d’un écrivain , Max-Pol Fouchet présente tous les soirs pendant une heure sur R.T.L. une émission sur la musique et les lettres, faisant découvrir à un large public combien la musique est capable d’exprimer la plus haute liberté intérieure, une sorte d’extase faite de volupté et de connaissance.
Puis, loin des projecteurs, il se retire à Vézelay, dont il a découvert le charme en 1958, séduit par la beauté du paysage, la splendeur de la basilique romane, la lumière, le calme et la solitude. C’est là qu’il préparait ses émissions. Il y termine sa vie dans une retraite studieuse. « Je n’ai pas peur de la mort. C’est un pays à connaître. Que l’on mette sur mon cercueil une étoffe rouge, pour rejoindre ainsi mes frères, les hommes révoltés. Et sur ma tombe, que l’on grave ces simples mots : Il aima la liberté ». Il y repose depuis 1980.
Nous connaîtrons un jour sur de plus amples versants
Ce que signifie dans l’aube la fumée des villages
Lorsque les chiens cessent d’inquiéter le gibier d’ombre
Et de paver la nuit d’abois comme un gué de pierres
Nous lirons la fumée des fermes dans le jour étalé
Comme l’écriture des hommes sur les pages des livres
Nous apprendrons alors de singulières nouvelles
Anciennes comme le feu sur la transparence des terres
L’aboi des chiens aux cours fermières de la nuit
Sera clair pour nous ainsi qu’un jeu de marelle
Où les enfants poussent entre les signes de la craie
Vers un ciel dessiné les éclats de leur rire
Étonnés nous nous éveillerons d’un plus long sommeil
Dans la surprise de voir notre rêve devenu tuile et pierre
La fumée des fermes coulera aux racines de nos veines
Nous serons ce secret que nous voulions savoir
Secret de jour et de nuit de récolte et de fenaison
Secret qui soudain se révèle dans les branches écartées
L’évidence se fermait sur soi comme étable l’hiver
C’était nous ces abois ces villages ces pentes et ces toits
Nous étions la marelle et la pierre et l’enfant
Le rire et les courses le livre et la courbe et la craie
La tuile le gué la rivière les sautes du vent
Aux transparentes carènes ce maigre brûlis d’herbes
Qu’un peuplier sur l’espace un doigt sur les lèvres
À jamais taise le secret dans le rouissage du jour
Perdons-le dans la neige le sable la verdeur vivons
Comme si nous ne savions rien des fumures du labour
Sur le tour des saisons monte la poterie des collines
Des taillis de la nuit les chiens ont levé le jour
Au tableau de l’école un enfant dessine le ciel
Roule une pierre
un oiseau crie
nous avons oublié
Bibliographie poétique
- Simples sans vertu, coll. « Méditerranéennes » dirigée par Albert Camus, © éd. Edmond Charlot, Alger, 1936
- Vent profond, © Éditions de la Vie Réelle, Paris, 1938
- Les limites de l’amour, © Éditions de la revue Fontaine, Alger, 1942
- Demeure le secret, © Mercure de France, Paris, 1961 / © Actes Sud, 1985
- De la poésie comme exercice spirituel, © éd. de la revue Fontaine, n° 19/20, Alger, 1942 / © Le Cherche Midi, Paris, 1978
À propos de
- Un hommage de qualité : Max-Pol Fouchet ou le passeur de rêves, sous la conduite de Guy Rouquet, © Le Castor Astral, 2000
Cet album contient des photos de Jean-Pol Stercq dont celles qui illustrent cet article.
Internet
- Voir sur Wikipédia la bibliographie détaillée.
- Consulter le site de L’Association des Amis de Max-Pol Fouchet
Contribution de Jacques Décréau