Sous la gouverne de Thierry Chauveau et de Lydie Prioul, L’herbe qui tremble ne cesse de grandir et elle occupe aujourd’hui une place de plus en plus reconnue dans le monde de l’édition de poésie. En 2014 déjà, Thierry accordait un entretien à notre ami Jean Gédéon pour la Pierre et le Sel. On retrouvera au fil des questions-réponses les permanences de son entreprise autant qu’on en mesurera les progrès et les évolutions de son projet.
La Pierre et le Sel : Quel est l’itinéraire personnel qui vous a conduit à la poésie ? Culture familiale ? Rencontres personnelles ? Études ?
À la maison, mon père lisait beaucoup de poésie, nous avions une bibliothèque fournie des poètes des 19e et 20e siècles. Lisant jeune Rimbaud et Verlaine, Prévert et Desnos, je passais des heures, allongé par terre à les lire. Mais, en remontant plus encore dans le temps, entre mes six et neuf ans, j’ai passé trois ans dans une école où chaque matin de classe nous devions écrire un poème. Et nous avions notre imprimerie pour y réaliser des journaux qu’on envoyait à d’autres écoles. J’aimais faire l’imprimeur plus que le poète.
La Pierre et le Sel : Avez-vous une écriture personnelle en dehors de votre travail d’éditeur ? D’autres activités de création artistique ? Si oui quelles sont les interactions entre ces créations et l’édition ?
Je n’écris pas, c’est sans doute ce qui m’aide à rester un lecteur passionné et désintéressé. Lire un manuscrit est à chaque fois une aventure nouvelle, je n’ai aucun a priori. Sans les pratiquer, j’aime la photographie et la peinture. Nos livres sont, pour la plupart, accompagnés par des peintres et des photographes.
La Pierre et le Sel : Quels sont les poètes, contemporains ou du patrimoine, qui vous sont proches par leur écriture ?
Cela dépend des périodes. En ce moment je lis tout ce que l’édition française a publié du poète coréen Ko Un. C’est une découverte importante, un choc comme celui que j’avais reçu la première fois que j’ai lu Christian Dotremont. Et de notre patrimoine, puisqu’il est décédé, je citerai Pierre Garnier, que j’ai eu l’immense chance de connaître, de publier et dont je continue de publier les œuvres ainsi que celles de son épouse Ilse Garnier. D’autres chocs, William Carlos Williams, Ron Padget, John Ashberry chez les poètes américains ; récemment, Paol Koenig, Denise Desautels et Christophe Manon ; et ceux que nous publions, et bien d’autres. Je me sens proche de toutes les écritures pourvu qu’elles me frappent, ou plus simplement me touchent.
La Pierre et le Sel : Avez-vous personnellement déjà publié ?
Je n’ai jamais publié.
La Pierre et le Sel : Comment est née votre maison d’édition ? Depuis quand existe-t-elle ? Avec quel projet ? D’où vient son nom ?
Le projet est né après avoir passé deux années à aider un éditeur de poésie à fabriquer ses livres. J’ai voulu poursuivre cette aventure. Avec ma compagne Lydie Prioul, nous avons créé L’herbe qui tremble en 2008. Nous aimons la poésie belge, et lisions alors Paul Willems, un auteur belge dont la sensibilité est poétique. Son premier roman, paru en 1942, a pour titre L’herbe qui tremble.
La poésie est pour nous indissociable de l’image, peinte, gravée, dessinée et photographiée. Nous voulons que nos livres réunissent poèmes et arts visuels (le couple Garnier est le meilleur exemple de cette union graphique image texte). Les peintres, pour ne citer qu’eux, ne sont-ils pas poètes de l’image, comme les poèmes sont révélateurs d’images ?
La Pierre et le Sel : Comment travaillez-vous ? Comment effectuez-vous les choix de publications ? À partir de quels critères ?
Nous travaillons en équipe. Pour sa collection D’autre part, Thierry Horguelin est maître à bord, il apporte ses goûts, ses choix sans que nous intervenions. Pour la collection Oscilantes, nous travaillons avec l’éditeur espagnol Incorpore, sur la base de deux publications par an. Nous choisissons un poète dont le recueil sera publié en bilingue. Les premières parutions sont arrivées en mai, deux recueils d’une remarquable poète espagnole Teresa Soto. Nous faisons parfois appel à une aide extérieure pour y voir plus clair tant la charge de lecture de manuscrits est grande. Les critères de choix ? Comme je le disais, que le poème frappe ou touche.
La Pierre et le Sel : Comment entrez-vous en relation avec les auteurs que vous publiez ? Avez-vous une ligne éditoriale précise ou êtes-vous ouvert à une large palette d’expressions ? Comment travaillez-vous avec eux ?
Des demandes de notre part : nous avons ainsi la chance que Pierre Dhainaut, Max Alhau, Claude Albarède nous aient accordé leur confiance. Des poètes qui nous font parvenir leur recueil par la poste. Quelle surprise de découvrir Gérard Bayo, un autre poète majeur (il a reçu en 2017 le Prix Mallarmé) ! Nous sommes débutants (neuf ans d’existence seulement), nous connaissons peu de poètes, les tapuscrits reçus par courrier que nous acceptons sont ceux de poètes avec qui nous créons et gardons de belles relations. Il arrive aussi qu’un poète nous dirige vers un autre poète. Ainsi du côté belge, Philippe Lekeuche nous a présenté Philippe Mathy, qui nous a présenté Véronique Daine, grâce à qui nous avons rencontré André Doms, etc. Difficile, alors, de définir une ligne éditoriale, sinon celle du coup de cœur.
La Pierre et le Sel : Quel est votre fonctionnement matériel ? Avez-vous un imprimeur de référence ou changez-vous selon les projets ? Quelles sont les techniques d’impression que vous utilisez pour vos publications ? Quel est le tirage des livres ?
Nous préparons nous-mêmes nos livres. Il suffit d’avoir un ordinateur et quelques logiciels… et du temps ! C’est une entreprise familiale, nous travaillons le soir, les week-ends.
Nous restons fidèles à un imprimeur, la confiance avec celui qui concrétise vos projets est fondamentale. Les premiers tirages sont de 300 à 500 exemplaires. Pour des raisons logistiques, nous préférons réimprimer un titre (comment stocker ? C’est un casse-tête terrible !), d’où l’importance de l’imprimeur, qui réagit très vite à nos demandes. Les techniques employées sont l’offset pour les couvertures et le numérique pour l’intérieur ; les presses numériques aujourd’hui rivalisent avec l’offset.
La Pierre et le Sel : Quel est votre fonctionnement économique ? Quel est le statut de votre structure éditoriale ? Quel est votre budget de fonctionnement ? Avez-vous des subventions ?
Entreprise familiale, statut associatif, budget fait sur les ventes de livres et de temps en temps sur des subventions apportées par le CNL et le Fonds national de la littérature en Belgique. Mais c’est assez rare.
Nous tenons à ce que nos livres soient imprimés sur un beau papier, que les reproductions des peintures soient de qualité, mais que le prix d’achat reste abordable, c’est un pari qui n’est pas celui du profit.
La Pierre et le Sel : Quels modes de diffusion utilisez-vous ? Avez-vous un diffuseur ? Démarchez-vous les libraires ? Organisez-vous des lectures et des manifestations autour de vos publications ? Participez-vous à des salons du Livre ?
Économie fragile, donc nous diffusons grâce au service de presse aux revues, au bouche-à-oreille qui fonctionne bien. Nous sommes adhérents d’Espace Livre & Création, une structure belge qui promeut nos livres dans les salons francophones, en France, en Belgique, au Québec. Les rencontres avec les poètes et le public sont aussi un mode de diffusion. Nous participons à quelques salons de poésie (à Paris nous sommes présents sur le Marché de la poésie en juin), trop peu certainement, mais nous manquons de disponibilités.
La Pierre et le Sel : Utilisez-vous Internet en relation avec votre travail d’éditeur ? Avez-vous un site personnel, un blog ? Consultez-vous ceux des autres ?
Nous avons un site, une page Facebook et nous informons par mailing. Et je consulte les sites dédiés à la poésie, et les sites de quelques éditeurs.
La Pierre et le Sel : Quelle est votre opinion quant à l’état de la poésie en France, et particulièrement de la petite édition ?
Si vous me permettez une réponse rapide, jamais de grandes affiches pour un recueil de poésie, rarement le portrait d’un poète à la télévision, de trop rares rendez-vous à la radio, et pourtant la poésie se porte très bien si l’on s’appuie sur le volume d’éditeurs, sur le nombre de salons, de marchés, de livres publiés, de rencontres, de prix attribués, si l’on songe aux concours de poésie, aux maîtres et maîtresses d’école qui insufflent aux jeunes enfants le goût des mots, etc.
Quant à la petite édition, les maisons sont nombreuses, celles qui fonctionnent bien, et celles qui fonctionnent moins bien, toutes travaillent pour la poésie, il y a une volonté commune des petits éditeurs de faire qu’on n’oublie pas les poètes, ils sont ceux dont les mots peuvent encore nous enchanter et nous rappellent que nous avons beaucoup d’humanité cachée à révéler.
La Pierre et le Sel : Quels sont vos projets à venir ?
L’herbe qui tremble prend son temps, à petite vitesse, pour se développer, offrir aux poètes la place qui leur revient, la première.
Mais nous n’oublions pas les peintres. Nous préparons des publications autour de peintres proches des poètes ; les poètes ne sont pas seulement écrivains de poèmes, ils tiennent aussi des journaux, des écrits, nous avons publié des écrits de l’artiste Marie Alloy sur la peinture et de Pierre Dhainaut sur les peintres et les poètes, des correspondances. Pour tous ces livres-là, nous allons ouvrir une collection Trait d’union. Depuis 2017, nous nous sommes agrandis. Thierry Horguelin, qui est lui-même auteur de nouvelles, a créé une collection D’autre part, dans laquelle il propose des auteurs pas forcément poètes. Une autre collection, Oscilantes, en coédition avec les éditions Incorpore basée en Espagne, propose depuis ce mois de mai des poètes espagnols, en édition bilingue française espagnole.
Coordonnées
- Éditions L’herbe qui tremble
25, rue Pradier – 75019 Paris (France) - tél. : 01 42 38 10 05
- Responsables : Lydie Prioul, Thierry Chauveau
- Courriel : [email protected]
Internet
- Le site de L’herbe qui tremble
- Terre à ciel : L’herbe qui tremble, un entretien avec Isabelle Lévesque
- La Pierre et le Sel : La petite édition de poésie | L’herbe qui tremble, une contribution de Jean Gédéon
Contribution de PPierre Kobel