La Pierre et le Sel : Quel est l’itinéraire personnel qui vous a conduit à la traduction ? Culture familiale ? Rencontres personnelles ? Études ?
Georges Lory : Ma mère traduisait des livres pour enfants. Mais c’est par militantisme que je suis tombé dedans. En 1975, le poète Breyten Breytenbach a été emprisonné en Afrique du Sud. On m’a demandé la version française de poèmes en afrikaans.
La Pierre et le Sel : Avez-vous d’autres activités d’écriture que la traduction ? D’autres activités de création artistique ?
Georges Lory : Un article de temps à autre, un poème tous les trois ans.
La Pierre et le Sel : Quels sont les auteurs, contemporains ou du patrimoine, qui vous sont proches par leur écriture ?
Georges Lory : Le père Verlaine pour la musique avant toute chose et l’ami Breytenbach pour ses métaphores étonnantes.
La Pierre et le Sel : Avez-vous déjà publié ? Dans des revues ? Lesquelles ? Des recueils ?
Georges Lory : Deux recueils de poésie dans les années 1970. Une dizaine de poèmes en afrikaans dans un ouvrage collectif. Sinon, des livres généralistes sur l’Afrique du Sud.
La Pierre et le Sel : Quel parcours vous a conduit à des activités de traduction ? Est-ce en lien avec des voyages ? Et pourquoi le néerlandais et l’afrikaans ? Pratiquez-vous d’autres langues ?
Georges Lory : Enfant à Bruges, je parlais le français à la maison, l’ABN (“Néerlandais général civilisé” sic) avec les autorités et le West flamand avec les copains. Plus tard à Bruxelles, nous avions des cours intensifs d’allemand, suivis par l’anglais à partir de la quatrième. Comme je caressais l’idée de travailler pour l’Union européenne, j’ai pris des cours d’été en espagnol, en italien et en suédois, des cours d’hiver en suédois et en grec moderne. L’afrikaans, je l’ai appris sur le tas, à Stellenbosch, au cours d’une année d’échange universitaire. Par curiosité j’ai piqué brièvement au japonais, à l’arabe et au zoulou, mais ne me demandez rien au-delà des formules de politesse. Si j’ai de la facilité à saisir les mécanismes d’une langue, je ne m’exprime pas forcément bien à l’oral. “Oui, mais l’accent français est charmant” m’a dit un collègue hispanophone.
La Pierre et le Sel : Comment choisissez-vous les auteurs que vous traduisez ? Avez-vous des relations personnelles avec eux ?
Georges Lory : Par affinité et par admiration. Adriaan van Dis, activiste anti-apartheid, est devenu un grand écrivain néerlandais. J’ai traduit le récit d’un voyage qu’il a effectué en Afrique du Sud, où il notait avec gourmandise des expressions en afrikaans. Pour le reste, je me contente d’auteurs sud-africains. Heureusement, ils sont nombreux, excellents, et comptent deux prix Nobel. C’est particulièrement utile de les connaître quand, à l’issue d’une traduction, subsistent des énigmes à résoudre. En outre, je pense qu’on traduit mieux quand on se sent en confiance avec l’auteur.
En ce qui concerne la série Lettres sud-africaines chez Actes Sud, mon choix est dicté par le souhait de faire connaitre des nouveaux noms au public francophone.
On ne manque pas d’outils pour traduire de l’anglais. En revanche, il n’existe pas de dictionnaire afrikaans-français. Toute vérification passe donc par un dictionnaire anglais, un coup d’œil sur un dictionnaire néerlandais, et s’il le faut, un dictionnaire zoulou, xhosa ou setswana.
La Pierre et le Sel : Quelle place occupe la poésie dans vos intérêts ? Nous nous sommes rencontrés autour des traductions de Breyten Breytenbach publiées chez Bruno Doucey. Cet auteur occupe-t-il une place particulière dans votre travail ?
Georges Lory : Une place énorme sur mes rayonnages, déjà. Breyten est graphomane, je n’arrive pas à lire tout ce qu’il produit. J’ai du bonheur à plonger dans son univers où règnent les vents, les oiseaux, les femmes, les amis et les anges. Mais où donc va-t-il dénicher toutes ses images insolites ?
La Pierre et le Sel : Traduisez-vous d’autres œuvres que de la littérature (cinéma, télévision, etc.) ?
Georges Lory : Non. Parfois trois phrases en afrikaans pour une BD ou un film documentaire.
La Pierre et le Sel : Quelle est votre opinion quant à l’état de la poésie en France et particulièrement de la petite édition ? Et quelle place occupe la traduction dans l’édition : reconnaissance, rétribution ?
Georges Lory : Je suis frappé par sa vitalité quand je vais à Sète ou place Saint-Sulpice à Paris. Et par son aspect confidentiel. Pourquoi n’aurions-nous pas droit à un court poème chaque matin sur nos radios publiques, aux côtés des rubriques politiques, économiques, humoristiques ?
La France est, semble-t-il, le pays qui offre le plus de traductions. Mais ce n’est pas en traduisant qu’on devient Crésus, surtout pas de la poésie.
La Pierre et le Sel : Utilisez-vous Internet en relation avec votre travail ? Avez-vous un site personnel, un blog ? Consultez-vous ceux des autres ?
Georges Lory : Oui, souvent. Radio France Internationale m’a gentiment proposé un blog littéraire hebdomadaire. Un exercice passionnant et contraignant que j’ai suspendu en 2019 quand trois traductions ont envahi simultanément mon ordinateur. Cette belle radio réfléchit à une nouvelle politique en matière de blogs.
La Pierre et le Sel : Quels sont vos projets à venir ? Vous êtes l’auteur de 136, un petit ovni de la poésie qui décline en autant de langues vivantes et mortes du monde entier un court texte de 5 vers. Ce projet aura-t-il un prolongement ?
Georges Lory : Bruno Doucey utilise 136 pour casser la glace face à un public multiculturel. Nous avons pour ambition d’étendre le projet à la grande majorité des langues parlées sur le territoire de la République.
Je lance un appel aux bonnes volontés résidant en Guyane : pas une seule des dix langues de ce département des Amériques ne figure sur notre liste, malgré des demandes répétées.
Notre objectif est d’atteindre 222 langues. En 2022, ce serait judicieux.
« Cet accent qui traîne
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j’aime les accents
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Contribution de PPierre Kobel