« Benjamin Péret représentait pour moi le poète surréaliste, par excellence : liberté totale d’une inspiration limpide, coulant de source, sans aucun effort culturel et recréant tout aussitôt un autre monde. En 1929, avec Dali, nous lisions à haute voix quelques poèmes du Grand jeu et parfois nous tombions par terre de rire... Péret était un surréaliste à l’état naturel, pur de toute compromission. » écrivit Luis Bunuel
Benjamin Péret, naît le 4 juillet 1899 à Rezé (Loire-Atlantique).
Au cours de la première guerre mondiale, il est engagé comme infirmier, grâce aux démarches de sa mère.
En 1920, celle-ci rend visite à André Breton, pour lui recommander une « personne » qui doit bientôt venir à Paris, et « qui voudrait se lancer dans la littérature ».
Quelques jours plus tard, Benjamin Péret arrive.
Il rencontre Robert Desnos, commence à écrire de la poésie, s’essaie à l’écriture automatique, avec des trouvailles syntaxiques et une virtuosité de style qui lui confèrent, parmi ses amis une originalité particulière.
Et toujours prêt à s’engager à fond dans la cause révolutionnaire et à se battre contre les ordres établis représentés, notamment, par la politique, l’armée, et l’église, il participe activement aux manifs organisées par les Dadaïstes, puis plus tard par les Surréalistes.
En 1928, il écrit un ouvrage à l’érotisme cru et au titre basé sur une contrepèterie, Les Rouilles encagées, qui va être saisi à plusieurs reprises et définitivement autorisé dans les années 1975.
Quelques extraits de son recueil Immortelle maladie
Sur la colline…
Sur
la colline qui n'était inspirée que par les lèvres peintes
les
yeux blancs s'ouvrent à la lumière de la fête
et la respiration
va mourir de sa belle mort
On dirait qu'une main
se pose sur
l'autre versant de la colline
et que les hommes crient
C'était
du ciel de Dieu que tombaient les paroles absurdes
Maintenant
partons pour la maison des algues
où nous verrons les éléments
couverts par leur ombre
s'avancer comme des criminels
pour
détruire la passager de demain
ô mon amie ma chère peur
In La Poésie Surréaliste, Immortelle Maladie - © Seghers1970, p 255
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Dormir
dormir dans les pierres
(fragment)
Soleil
route usée pierres frémissantes
Une lance d'orage frappe le
monde gelé
C'est le jour des liquides qui frisent
des liquides
aux oreilles de soupçon
dont la présence se cache sous le
mystère des triangles
Mais voici que le monde cesse d'être
gelé
et que l'orage aux yeux de paon glisse sous lui
comme un
serpent qui dort sa queue dans son oreille
parce que tout est
noir
les rues molles comme des gants
les gares aux gestes de
miroir
les canaux dont les berges tentent vainement de saluer les
nuages
et le sable
le sable qui est gelé comme une
pompe
et projette au loin ses tentacules de cristal
Toutes ses
tentacules n'arriveront jamais à transformer le ciel en mains
Car
le ciel s'ouvre comme une huître
et les mains ne savent que se
fermer sur les poutres des mers
qui salissent les regards bleus
des squales
voyageurs parfumés
voyageurs sans secousses
qui
contournent éternellement les sifflements avertisseurs des
saules
des grands saules de piment qui tombent sur la terre comme
des plumes
Si quelque jour la terre cesse d'être un saule
les
grands marécages de sang et de verre sentiront leur ventre se
gonfler
et crier Orties Orties
Jetez les orties dans le gosier
du nègre
borgne comme seuls savent l'être les nègres
et le
nègre deviendra ortie
et soutane son œil perdu
cependant
qu'une longue barre de cuivre se dressera comme une flamme
si loin
si haut que les orties ne seront plus ses enfants
mais les
soubresauts fatals d'un grand corps d'écume
salué par les mille
crochets des eaux bouillantes
que lance le pain blanc
ce pain
si blanc qu'à côté de lui le noir est blanc
et que les roches
amères dévorent lentement les chevilles des danseuses d'acajou
mais
les orties ô mosaïque les orties demain auront des oreilles
d'âne
et des pieds de neige
et elles seront si blanches que le
pain le plus blanc s'oubliera dans leurs dédales
Ses cris
retentiront dans les mille tunnels d'agate du matin
et le paysage
chantera Un Deux Trois Quatre Deux Trois Un Quatre
les corbeaux
ont des lueurs d'église
et se noient tous les soirs dans les
égouts de dieu
Mais taisez-vous tas de pain le paysage lève
ses grands bras de plume
et les plumes s'envolent et couvrent la
queue des collines
et voici que l'oiseau des collines se retrouve
dans la cage de l'eau
Mais plumes arrêtez-vous car le paysage
n'est presque plus qu'une courte-paille
que tu tires
C'est donc
toi fille aux seins de soleil qui seras le paysage
l'hypnotique
paysage
le dramatique paysage
l'affreux paysage
le glacial
paysage
l'absurde paysage blanc
qui s'en va comme un chien
battu
se nicher dans les boîtes à lettres des grandes
villes
sous les chapeaux des vents
sous les oranges des
brumes
sous les lumières meurtries
sous les pas hésitants et
sonores des fous
sous les rails brillants des femmes
qui
suivent de loin les feux follets des grands hérons du jour et de la
nuit
les grands hérons aux lèvres de sel éternels et
cruels
éternels et blancs
cruels et blancs
In La poésie surréaliste, éditions surréalistes, 1927- © Seghers1970, p 255
À partir des années 1928 et jusqu’à le deuxième guerre mondiale, il s’expatrie, d’abord, au Brésil où il se crée un foyer et une nouvelle vie en se mariant avec une cantatrice, Elsie Houston, qui lui donne un enfant.
Il s’intéresse aux rituels et coutumes locaux comme le candomblé, ainsi qu’à la politique brésilienne qui lui vaut, d’être expulsé, comme agitateur communiste par le gouvernement en place.
Revenu en France, il adhère, pour un temps, au parti communiste français.
Puis en 1936, il se rend en Espagne où il se bat dans les rangs du POUM, ensuite avec les anarchistes de la colonne Durutti.
Puis entre deux combats, il remplace Elsie par une femme peintre Remedios Varo.
Revenu en France, accusé de reconstitution de ligue dissoute, il est emprisonné pendant trois semaines, puis poussé par la faim il se réfugie à Marseille .
De 1942 à 1948, il séjourne au Mexique avec son épouse Remedios. Le couple vivant dans des conditions financières très difficiles, se sépare.
De retour en France, Péret reprend ses activités dans le groupe surréaliste, avec des articles dans ses revues et sa participation active à ses actions revendicatives.
Il meurt en septembre 1959 et il repose au cimetière des Batignolles, où on peut lire sur sa tombe, l’épitaphe suivante : « Je ne mange pas de ce pain-là »
Chasse à courre
Je
m’étonne de l’orthographe de fois
qui
ressemble tant à un champignon
roulé dans la farine
II n'a
pas les mains blanches parce qu'il est nègre
Son nez est une
boussole
qui se retourne vers le centre
où il fait chaud
C'est
le creux de ma main
II crache sur le soleil qui a froid
et veut
me voler mon pardessus
qui n'a rien à se mettre sous la dent
In La poésie surréaliste, - De Derrière les Fagots © Seghers1970, p 260
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6 février
Vive
le 6 février
grogne le jus de chique
vêtu en étron
fleurdelysé
Que c'était beau
Les autobus flambaient comme
les hérétiques d'autrefois
et les yeux des chevaux
arrachés
par nos cannes-gillettes
frappaient les flics si répugnants et si
graisseux
qu'on aurait dit des croix de feu
Vive le 6
février
J'ai failli incendier le ministère de la marine
Comme
un kiosque à journaux
Dommage que les pissotières ne brûlent
pas
Vive le 6 février
Des conseillers municipaux abrutis
par leur écharpe tricolore
pour rallier les poux et les
punaises
faisaient couler leur sang sous les matraques
qui leur
conviennent moins bien que le poteau d'exécution
Vive le 6
février
Des curés jaunes verts pourris
caressaient les fesses
des adolescents
en chantant la Marseillaise et des cantiques
en
tirant sur leurs frères flics
Vive le 6 février
et vive
le 7
J'ai hurlé pendant deux jours
A mort Cachin à mort
Blum
et j'ai volé tout ce que j'ai pu dans les magasins
dont
je brisais les vitres
J'ai même volé une poupée que
j'enverrai à Maurras
pour qu'il essaie de la violer
en criant
A bas les voleurs
In La poésie surréaliste, - Je ne mange pas de ce pain-là © Seghers1970, p 261
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Allo
Mon
avion en flammes mon château inondé de vin du Rhin
mon ghetto
d'iris noir mon oreille de cristal
mon rocher dévalant la falaise
pour écraser le garde champêtre
mon escargot d'opale mon
moustique d'air
mon édredon de paradisiers ma chevelure d'écume
noire
mon tombeau éclaté
ma pluie de
sauterelles rouges
mon île volante mon raisin de
turquoise
ma collision d'autos folles et prudentes ma plate-bande
sauvage
mon pistil de pissenlit projeté dans mon œil
mon
oignon de tulipe dans le cerveau
ma gazelle égarée dans un
cinéma des boulevards
ma cassette de soleil mon fruit de
volcan
mon rire d'étang caché où vont se noyer les prophètes
distraits
mon inondation de cassis mon papillon de morille
ma
cascade bleue comme une lame de fond qui fait le printemps
mon
revolver de corail dont la bouche m’attire comme l’œil d’un
puits
scintillant
glacé
comme le miroir où tu contemples la fuite des oiseaux-mouches de ton
regard
perdu dans une exposition de blanc encadrée de
momies
je t’aime
In La poésie surréaliste, - Je sublime © Seghers, 1970, p 262
Bibliographie
-
Le Grand jeu, © Poésie/Gallimard, 1969.
-
Le Déshonneur des poètes, Mexico, 1945. © Réédition José Corti, 1986.
-
Anthologie de l’amour sublime, © Albin Michel. 1988
-
Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique, © Albin Michel 1989
-
Les Rouilles encagées, Paris, © Mille et une nuits, 1995.
-
La Commune des Palmares, introduction de Robert Ponge, © Paris, Syllepse, Les archipels du surréalisme, 1999.
Internet
-
Un article Wikipedia
-
Une vidéo de France Culture sur le poète
-
Un article de l’encyclopedia universalis sous la plume d’André Laude, à propos de B. Péret.
Contribution de Jean Gédéon